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Il y a 40 ans, Valéry Giscard d’Estaing apportait un vent de jeunesse et de modernité à l’Elysée

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« Je voudrais regarder la France au fond des yeux, lui dire mon message et écouter le sien », avait lancé Valéry Giscard d’Estaing, le jour où il avait annoncé son intention de succéder à Georges Pompidou décédé six jours plus tôt. Retour sur sa campagne et sur les premiers mois à la tête de la France.

JOL Press : Qu’incarnait Valéry Giscard d’Estaing il y a 40 ans ?

Mathias Bernard : Valéry Giscard d’Estaing incarnait tout d’abord la jeunesse : il avait 48 ans, il tranchait par rapport à l’âge moyen de ses concurrents et de la classe politique de l’époque. Par ailleurs, depuis le milieu des années 60, il avait parfaitement compris les attentes de la génération du baby-boom devenue adulte et il a fait en sorte que son programme corresponde aux aspirations de ces trentenaires et quadragénaires qui ont constitué une des bases fortes de son électorat. Valéry Giscard d’Estaing donnait donc cette image d’un homme jeune, d’un homme qui faisait de la politique autrement, de façon un peu plus décontractée que ne pouvaient le faire un François Mitterrand ou un Georges Pompidou, son prédécesseur.

Il donnait, aussi, l’image d’un homme compétent sur le plan économique puisqu’il avait l’expérience de dix années au ministère de l’Economie et des Finances, d’abord sous le Général de Gaulle (de 1962 à 1966) puis sous la présidence de Pompidou (de 1969 à 1974).

[image:2,s]Enfin, le dernier élément important, pour comprendre le succès de sa candidature, a certainement été sa ligne : « Le changement sans le risque ». Il incarnait, en effet, un changement non seulement par rapport aux gaullistes mais aussi par rapport à la classe politique traditionnelle et sans le risque que constituait à l’époque à l’alliance entre les communistes et les socialistes. Il était l’homme qui pouvait faire évoluer la société française sans risquer l’aventure révolutionnaire qui était encore crainte une partie de l’opinion, seulement six ans après les événements de 1968. Il apparaissait comme un juste milieu, un équilibre dont la société de l’époque avait besoin.

JOL Press : La modernité sans brutalité, c’était cela la clé de son succès ?

Mathias Bernard : C’est, en effet, l’équation de sa campagne électorale, avec une vraie volonté réformatrice qui inspirera les premières mesures de son septennat. Pendant sa campagne, Valéry Giscard d’Estaing a insisté sur sa volonté de réformes à la fois dans le domaine des mœurs et de la société mais aussi dans le domaine politique. Il ne voulait pas laisser à François Mitterrand le monopole du changement. Depuis 1958, la France était dominée par les gaullistes, l’aspiration au changement était donc très forte dans la société et a été la dominante de cette campagne.

JOL Press : Qu’est ce qui a caractérisé sa campagne ?

Mathias Bernard : C’est la première fois, dans la vie politique française, où un candidat a autant mis en avant sa famille, dans sa communication. Au courant du mois d’avril 1974, un reportage télévisé faisait apparaître sa fille aînée Valérie-Anne et sa femme Anne-Aymone emménager dans son local de campagne rue de la bienfaisance ; il s’est fait photographier avec sa plus jeune fille Jacinthe qui avait alors 14 ans en y accolant un slogan sur l’avenir de la France ; il a aussi demandé au photographe et cinéaste Raymond Depardon de tourner un film afin de faire connaître au grand public les coulisses de sa campagne. Il a voulu faire une campagne à la Kennedy et cela a assez bien fonctionné.

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Il s’est appuyé sur une toute petite équipe de fidèles, des gens comme Michel d’Ornano ou Michel Poniatowski, quatre, cinq personne pas plus, et il n’était pas soutenu par un grand parti, à l’époque. C’est aussi une des originalités de cette campagne. Il est allé à la rencontre des électeurs, simplement, sans une armée de conseillers en communication, ni cordon de sécurité. Il n’y avait pas cette logique d’écran qui existe aujourd’hui entre un candidat et les Français. On était encore dans une période où la politique se faisait de façon beaucoup plus directe.

JOL Press : Comment se sont passés ses premiers mois de mandat ? A-t-il connu une période « d’état de grâce » ?

Mathias Bernard : Pendant la première année de son mandat, il va vraiment faire preuve de volontarisme en matière de réformes : la majorité à 18 ans, la loi Veil, la libéralisation de l’audiovisuel public avec la suppression de ce qui était l’ORTF (une sorte d’office gouvernemental qui gérait l’audiovisuel public),  l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, qui était un droit nouveau donné à l’opposition, la loi qui instaure le divorce par consentement mutuel… La liste est longue qui illustre cette volonté réformatrice importante. Franklin Roosevelt disait qu’une action politique se fait dans les 100 premiers jours du mandat, parce que le président est porté par une dynamique et la légitimité de son élection. C’est exactement ce qu’a fait Valéry Giscard d’Estaing.

Après ce qui a été politiquement difficile à gérer pour lui c’est que toutes ces réformes n’étaient pas des réformes, surtout à l’époque, qu’on pourrait qualifier de droite. Elles étaient certainement populaires dans une bonne partie de l’opinion française, mais beaucoup moins chez les gens qui avaient majoritairement voté pour lui. On le constate dans le témoignage d’un certain nombre de ses partisans de l’époque qui conseillaient au président de prendre garde à ne pas trop froisser les gaullistes et l’électorat de droite en général. Et cette difficulté sera présente pendant tout son septennat : il aura du mal à trouver une majorité politique qui soutiendra son action qu’il voulait dépassant le clivage droite/gauche.

JOL Press : Est-ce là une des causes de son échec en 1981 ?

Mathias Bernard : Beaucoup de raisons peuvent expliquer son échec en 1981 et cette difficulté à trouver une majorité politique en est une. Il clair qu’une partie de son électoral ne lui a pas pardonné certaines de ses réformes : la loi Veil a été violement reprochée, dans les années 80 par la droite conservatrice.

Je pense qu’on peut aussi expliquer cet échec par la crise économique due aux chocs pétroliers de 1973 et 1979 qui a provoqué un chômage de masse. Giscard n’a pas été responsable, en tant que tel, de cette situation mais force est de constater qu’en 1974, il y avait 400 000 chômeurs, et qu’en 1981, il y en a eu un million et demi. On peut aussi expliquer cet échec par la querelle fratricide qui a opposé Giscard et Jacques Chirac et qui n’a rien arrangé.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Mathias Bernard est président de l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand depuis le 22 mars 2012. Il a dirigé cinq publications collectives, et est l’auteur de neuf ouvrages sur l’histoire politique contemporaine française essentiellement. Il est par ailleurs directeur éditorial et scientifique de la collection « Biographies et mythes du XXème siècle » chez Ellipses et de la collection « Histoire contemporaine » chez PIE-Peter Lang (Bruxelles).

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