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Ils sont socialistes et sont «affligés» par la politique du gouvernement

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« Socialistes et sociaux-démocrates, nous sommes affligés par l’orientation politique du gouvernement actuel. Nous l’estimons néfaste et démobilisatrice pour les électeurs de gauche qui avaient nettement indiqué vouloir rompre avec le Sarkozysme en 2012. Ce choix fragilise le PS et la gauche dans son ensemble. » Dans un texte publié sur le site d’information Mediapart, Liêm Hoang-Ngoc, député au Parlement européen et membre du Bureau national du PS, et Philippe Marlière Professeur à University College London et ancien membre du PS ont annoncé la création d’un nouveau courant au PS, « club des socialistes affligés ». Explications.

JOL Press : Pourquoi avoir lancé ce club et pourquoi l’avoir appelé ainsi ?

Liêm Hoang Ngoc : Nous voulions initialement faire écho au débat qu’avaient initié mes amis, les « Économistes Atterrés », sur les politiques de l’offre. Comme ils avaient déposé leur marque « atterrés », nous avons donc accolé à notre club le qualificatif d’« affligés », au demeurant plus fort. Nous nous adressons plus précisément  aux militants et aux électeurs socialistes qui aujourd’hui ne comprennent pas le virage qui a été pris par l’exécutif et qui ont choisi de ne plus voter.

Nous voulons mener la bataille idéologique qui a été perdu ces vingt dernières années, au cours desquelles de nombreux éditorialistes, mais aussi la Fondation Jean-Jaurès, puis le think tank Terra Nova ont largement contribué à préparer les esprits au virage actuel. Nous sommes affligés par l’orientation politique du gouvernement actuel. Celle-ci n’est pas sociale-démocrate mais bien sociale-libérale.

Nous voulons par ailleurs offrir une perspective politique aux militants et aux électeurs socialistes qui désertent aujourd’hui l’engagement politique.

Le virage pris par François Hollande nous engage dans une Troisième voie à la française, initiée par Tony Blair et Gerhard Schröder en 1999. Or celle-ci avait toujours été écartée par le Parti socialiste français. Il n’y a eu aucun débat préalable au PS. Dans les congrès, les motions qui se qualifiaient de « sociales-libérales » ont toujours fait moins de 5% au sein du parti. Nos militants et nos électeurs, nombre de nos élus sont désarçonnés. Beaucoup pensent tout bas que cela peut nous conduire, de défaite électorale en défaite électorale à un deuxième tour entre la droite et l’extrême-droite à la présidentielle de 2017. Il ne subsisterait dans la foulée, que  40 députés socialistes à l’Assemblée…

JOL Press : Selon vous, la politique mise en place par le gouvernement n’est pas efficace ?

Liêm Hoang Ngoc : Les politiques de l’offre sont présentées comme les seules possibles alors qu’elles sont en train de mener la zone euro au bord de la déflation parce qu’elles ont tué la demande. Comme tous les pays baissent leurs salaires et leurs dépenses en même temps, personne n’y gagne et le jeu est à somme négative. C’est pourquoi les prix tendent à la baisse sur certains marchés. Mario Draghi lui-même, à la BCE, fait tout ce qu’il peut pour contrer la déflation. Le problème est que, dans un tel contexte, la seule politique monétaire est impuissante.

La zone euro est en train de se priver de politique budgétaire pour des raisons complètement aberrantes. Contrairement à ce que l’on croit, la politique budgétaire dispose encore de quelques marges de manœuvre, en particulier dans un pays comme la France où on est loin des 120% de taux d’endettement jugés par le FMI comme étant la limite de l’endettement soutenable. Malheureusement, les politiques poursuivies ne soutiennent pas la reprise et aboutissent au paradoxe suivant : les déficits baissent mais le taux d’endettement continue d’augmenter parce que la croissance insuffisante ne permet pas de dégager des excédents budgétaires primaires consacrés au désendettement.

JOL Press : Pour répondre à cette orientation du gouvernement, que proposez-vous ?

Liêm Hoang Ngoc : Nous proposons avant tout d’ouvrir le débat. La politique menées n’est pas responsable su point de vue même de la rationalité des choix budgétaires ! Les 30 milliards qui ont été transférés en faveur du taux de marge (soit 1,5 point de PIB) conduiront-ils à une reprise de l’investissement ? On accuse souvent les opposants à cette politique, l’aile gauche du Parti socialiste en particulier, d’être irresponsables sur le plan économique, mais est-ce responsable d’octroyer 30 milliards de dépenses fiscales sans contreparties ? Je ferai remarquer si ces 1,5 point de PIB n’avait pas été octroyé, notre déficit budgétaire ne serait pas loin de la trajectoire conduisant au critère des 3% de déficit public (critère-fétiche au demeurant stupide)…

JOL Press : Comment expliquer que lorsque les socialistes arrivent au pouvoir ils n’appliquent pas la politique qu’ils défendaient quand ils étaient dans l’opposition ?

Liêm Hoang Ngoc : Je pense que François Hollande considère sincèrement que cette politique de centre-droit est la seule possible.  Il s’est distingué, à cet égard des propositions qui avaient été faites par Martine Aubry. François Hollande a toujours eu en tête de faire endosser au parti et à la gauche ce virage libéral. Je ne lui jette pas la pierre, car sont point de vue, que je ne partage pas, est défendable. L’ambiguïté vient néanmoins de ce qu’au Bourget, il a prononcé un discours de gauche pour rassembler notre camp, comme l’avait fait en son temps François Mitterrand.

En démocratie, chaque projet doit pouvoir être confronté. Malheureusement, la Ve République n’autorise pas ce débat. Lorsque celui qui est à la tête de l’exécutif décide, la majorité parlementaire est obligée de s’aligner, sous peine de provoquer une crise politique.

JOL Press : Vous sentez-vous soutenu dans votre initiative ?

Liêm Hoang Ngoc : Je fais, en ce moment, le tour des fédérations et notre manifeste suscite un grand engouement parmi les militants. Depuis que nous avons publié notre texte sur le site de Mediapart, nous n’arrêtons pas de recevoir des messages de soutiens et pourtant, le club ne sera véritablement lancé qu’à l’occasion d’un colloque discutant la pertinence de la politique de l’offre le 7 juin. Nous avons voulu annoncer publiquement la création du club cette semaine, dans la foulée de la prise de position des 90 parlementaires à l’assemblée nationale et de l’appel de militants socialistes contre l’austérité qui circule dans les fédérations.

JOL Press : Que souhaitez-vous, au fond, en fédérant ces contestations ?

Liêm Hoang Ngoc : Si l’exécutif persévérait dans cette voie, le navire socialiste pourrait rapidement prendre l’eau. Nous voulons rassembler ceux qui pensent encore qu’un programme socialiste est bien plus pertinent que l’agenda libéral. Nous entamerons le dialogue avec les Verts et le front de Gauche pour montre qu’une base politique et sociale forte existe pour mener une politique progressiste dans notre pays.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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