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Inde: «Le vote des jeunes a été le pivot de l’élection»

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« Avec deux habitants sur trois ayant moins de 35 ans, l’Inde connaît aujourd’hui la plus grande génération de jeunes de son histoire » (Crédit photo: zeber / Shutterstock.com)

JOL Press : Comment s’est achevée cette campagne électorale indienne ?
 

Bénédicte Manier : La campagne a été très intense, avec beaucoup de débats dans les médias depuis des mois et des centaines de meetings des candidats, qui ont sillonné le pays sans relâche. Le ton a parfois été tendu, avec des attaques personnelles, mais au final, la démocratie indienne a une fois de plus démontré sa forte vitalité. L’électorat sait que l’avenir de l’Inde est en jeu et la participation a été en hausse – avec notamment une hausse du vote des jeunes et des femmes.

JOL Press : Les premiers sondages donnent une avance à l’opposition nationaliste de Narendra Modi. Est-ce une surprise ?
 

Bénédicte Manier : Depuis le début, le parti nationaliste hindou de Narendra Modi, le BJP, est donné en tête, et il a d’ailleurs massivement communiqué sur ce thème : il a voulu faire passer l’idée qu’une « vague Modi » (Modi wave) allait submerger le pays. Le BJP a aussi axé sa campagne sur le discrédit du gouvernement en place et sur le développement économique du pays, des thèmes qui parlent à la classe moyenne, son principal support électoral.

JOL Press : Pourquoi le Parti du Congrès a-t-il perdu la confiance des électeurs ?
 

Bénédicte Manier : Après 10 ans au pouvoir, il a d’abord inévitablement subi un effet d’usure. Le parti et sa coalition ont aussi connu une vague de scandales qui les ont discrédités. D’autres facteurs ont joué, comme le ralentissement économique depuis 2010, et l’inflation, dont le niveau est devenu insupportable pour les plus modestes, notamment pour les produits alimentaires.

Beaucoup de jeunes électeurs, qui nont pas connu le Grand Old Party à l’apogée de sa gloire, après lindépendance, n’ont donc jugé le parti que sur cette situation récente. Enfin, ces dernières années, l’autorité du Premier ministre Manmohan Singh, le père des réformes économiques de 1991, a semblé s’éroder, tandis que la récente reprise du leadership par Rahul Gandhi n’a pas convaincu.

JOL Press : Une défaite de Rahul Gandhi signerait-elle la fin d’une ère ou bien le Parti du Congrès resterait-il très ancré dans la vie politique indienne ?
 

Bénédicte Manier : Le parti a déjà connu des défaites électorales par le passé, mais il a toujours su renaître, grâce à la lignée des Nehru-Gandhi. On suppose donc que la récente arrivée au premier plan de la sœur de Rahul Gandhi, Priyanka, jugée plus charismatique, pourrait être la voie d’une prochaine renaissance. Toutefois, aujourd’hui, la magie du nom ne suffit plus : s’il veut regagner la faveur des électeurs, le parti devra surtout passer par une profonde rénovation interne.

JOL Press : Les jeunes générations indiennes ont-elles été très impliquées dans cette campagne électorale ?
 

Bénédicte Manier : Elles ont été très souvent au centre de la campagne, parce qu’elles représentent aujourd’hui une vraie force électorale : la moitié des électeurs ont moins de 35 ans. Le vote des 100 millions de nouveaux électeurs (18-23 ans) a aussi été un pivot de l’élection, car il était en mesure de faire basculer la plupart des circonscriptions.

De plus, les jeunes sont difficiles à convaincre, parce que très critiques vis-à-vis du monde politique, et il fallait particulièrement les courtiser. Les partis se sont donc d’emblée adressés à eux à travers les réseaux sociaux, et les principaux thèmes de la campagne ont porté sur des préoccupations primordiales pour eux : le développement, l’économie et l’emploi.

De même, les partis se sont sentis obligés d’inscrire à leur programme deux thèmes qui ont massivement mobilisé ces jeunes ces dernières années : la lutte contre la corruption, objet d’un important mouvement de protestation en 2011, et la lutte contre les violences à l’égard des femmes, qui a suscité d’importantes manifestations, après le viol collectif du 16 décembre 2012 à New Delhi.

JOL Press : Quelles grandes réformes et changements attendent-ils de leur prochain gouvernement ?
 

Bénédicte Manier : Ces « enfants de la mondialisation » attendent énormément du prochain gouvernement. D’abord une relance de l’économie, ainsi qu’une baisse de l’inflation. Mais aussi des avancées sur les grands problèmes du pays, en premier lieu l’emploi. Un million de jeunes entrent en effet chaque mois sur le marché du travail et ils aspirent tous à des emplois stables, ce qui n’est encore le cas que d’une toute petite partie d’entre eux.

Ensuite, l’éducation : le pays doit actuellement former et qualifier 500 millions de jeunes. C’est un défi colossal qui va nécessiter une véritable révolution éducative.

Enfin, les thèmes abordés pendant la campagne devront aussi être traités : le manque d’infrastructures modernes (électricité, transports, communications, sanitaires…), qui freine le développement industriel. Ainsi que la corruption, les violences à l’égard des femmes et la pauvreté. On le voit, les chantiers qui attendent le prochain gouvernement sont nombreux.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Bénédicte Manier est journaliste. Elle connaît bien la société indienne dont elle suit l’évolution depuis vingt ans. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages dont L’Inde nouvelle s’impatiente, publié aux éditions Les Liens qui Libèrent (LLL), mai 2014.

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