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Jackie Kennedy, entre femme moderne et épouse modèle

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Jacqueline Bouvier et John Kennedy se sont mariés le 12 septembre 1953 (Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : En quoi le destin de Jackie Kennedy a-t-il été exceptionnel ?
Frédéric Lecomte-Dieu : Il faut remonter jusqu’à l’enfance de Jacqueline Lee Bouvier, fille aînée de John Vernou Bouvier III, un riche agent de change, et de Janet Norton Lee. Quelques mois après sa naissance, la crise de 1929 a fait perdre aux Bouvier une grande partie de leur fortune. Les nombreuses infidélités de John Bouvier et son alcoolisme ont conduit sa femme à se séparer de lui en 1936. A l’époque, les gens divorcés étaient montrés du doigt. Cela n’a pas empêché Jackie de faire de brillantes études (elle parlait français, espagnol et italien).

Sa rencontre avec John Fitzgerald Kennedy est une histoire incroyable : Jacqueline Bouvier, 24 ans, alors journaliste au Washington Times Herald, a été présentée à l’étoile montante du Parti démocrate, de douze ans son aîné, en mai 1952 au cours d’un dîner organisé par un ami commun. JFK et Jackie avaient deux points communs : leur passion pour l’Histoire… et le Monopoly. La jeune femme fut très déçue de cette rencontre : JFK est arrivé en retard, mal habillé… et a boudé toute la fin de soirée après avoir perdu au Monopoly ! 

Un peu plus tard, à la demande de son rédacteur en chef, Jackie a interviewé Kennedy. Elle a déjeuné avec lui et son frère Bobby. Mais toutes les cinq minutes, JFK a interrompu le repas pour répondre au téléphone, ce qui a agacé la journaliste. Bobby lui a alors confié : «Cet homme va changer la société américaine». Au final, Jackie est celle qui a su accompagner un homme entièrement dévoué à son pays. Pour 75% des Américains, JFK restera dans l’Histoire comme un président «remarquable», selon un sondage Gallup publié en novembre 2013.

Cet homme, qui n’est resté que 1 000 jours à la Maison Blanche, a fait rêver son pays. Il a montré aux Américains «le chemin des étoiles», comme l’a expliqué le majordome de Ronald Reagan. Bien sûr, toute sa présidence n’a pas été rose. Et Jackie l’a toujours soutenu dans les épreuves qu’il a traversées (la baie des Cochons, la crise des missiles de Cuba, la guerre du Vietnam etc.).

JOL Press : Est-ce seulement son statut de «femme de» qui a fait entrer Jackie Kennedy dans l’Histoire ?
 

Frédéric Lecomte-Dieu : Non. Dès son arrivée à la Maison Blanche, en janvier 1961, elle a expliqué à son mari qu’elle n’avait pas l’intention de jouer les potiches. Elle n’était pas satisfaite de l’état dans lequel Mamie Eisenhower lui avait laissé la Maison Blanche et a entrepris d’embellir la résidence devenue lugubre. Jackie était déterminée à en faire «la plus parfaite maison des Etats-Unis». Pour la Première dame, la demeure présidentielle devait refléter l’histoire culturelle du pays. C’est elle qui a donné le goût du patrimoine aux Américains.

Pour éviter d’avoir recours à l’argent public, elle a créé la White House Historical Association qui a publié le premier guide officiel de la Maison Blanche. Tous les profits de la vente ont servi à financer le projet de restauration et d’achat de mobilier. Jackie a aussi rencontré de nombreux mécènes pour les convaincre de l’aider dans son entreprise. Elle s’est également battue pour sauvegarder d’autres éléments du patrimoine national (la gare de Washington, le square Lafayette). Elle est même parvenue à faire venir la Joconde à la National Gallery de Washington.

Aux yeux du public, John et Jackie formaient un couple modèle, ils symbolisaient une Amérique jeune, dynamique et volontaire. La Première dame a parfaitement su jouer le jeu des médias, elle a aussi ouvert les portes de la Maison Blanche au monde des arts. Elle a réussi à remplir son rôle avec style et dignité, contribuant ainsi à «glamouriser» la fonction de président des Etats-Unis

JOL Press : Jackie Kennedy était donc une femme moderne ?
 

Frédéric Lecomte-Dieu : Absolument. Avant elle, les Premières dames des Etats-Unis se contentaient d’écouter sagement leur mari et de suivre leur train-train quotidien. Elles ne s’impliquaient pas dans la vie du pays, contrairement à Jackie Kennedy. En mars 1962, cette dernière a même été envoyée en Inde et au Pakistan, deux pays ennemis. Là, elle a rencontré le président Nehru, puis Ayub Khan. Pendant la crise de Cuba, qui a duré du 16 octobre au 28 octobre 1962, Jackie est restée aux côtés de son mari qui l’a tenue au courant de ses décisions.

Jackie Kennedy était une femme remarquable qui aurait très bien pu faire de la politique. En outre, elle a prouvé sa modernité après la présidence de JFK. Elle a par exemple écrit «Moonwalk», une biographie de Michael Jackson. A l’époque, tout le monde pensait que ce chanteur ne serait qu’un feu de paille ! A partir de 1975, elle a mené une carrière d’éditrice absolument passionnante.

JOL Press : Comment décririez-vous la vie de Jackie Kennedy en quelques mots ?
 

Frédéric Lecomte-Dieu : La phrase qui résume le mieux sa destinée est sans doute celle prononcée par Bill Clinton le jour de ses funérailles, le 23 mai 1994 : «Dieu lui a donné de grands dons mais lui a aussi imposé beaucoup de souffrances. Elle les a toutes supportées avec dignité». Lors de l’enterrement de JFK, elle a dominé son chagrin et n’a pas laissé transparaître son émotion. A cette occasion, elle a donné une vraie leçon de grandeur et de dignité.

Il ne faut pas oublier non plus que Jackie Kennedy a été une mère exceptionnelle. Elle a donné une éducation remarquable à ses enfants. Elle a déclaré qu’elle serait d’abord mère et épouse et ensuite seulement Première dame. Pour Jackie Kennedy, les relations familiales étaient prédominantes : «Si vous ne réussissez pas à élever correctement vos enfants, je ne pense pas que quoi que vous fassiez correctement ait encore de l’importance».

JOL Press : A-t-elle joué un rôle dans la carrière politique de son mari ? Lequel ?
 

Frédéric Lecomte-Dieu : C’est elle qui choisissait pour son époux des costumes sombres et des cravates étroites. Elle lui a fait faire des pantalons sur-mesure et a jeté à la poubelle une bonne partie de ses vêtements. Elle a aussi sensibilisé JFK aux problèmes raciaux dans les Etats du Sud, à la précarité de certains hôpitaux et à l’échec de l’assurance maladie. John Kennedy l’écoutait attentivement et faisait part de ses objections à ses collaborateurs.

En outre, elle le mettait en garde contre certaines de ses relations. Ses conseils le mettaient parfois hors de lui, mais ils finissaient toujours par payer. Jackie collaborait avec les assistantes de John sur l’implication américaine en Indochine. Lorsqu’il avait besoin de plus d’informations sur l’Union générale indochinoise, elle étudiait pendant plusieurs semaines, à la bibliothèque du Congrès, les ouvrages historiques traitant de cette période.

JOL Press : Comment décririez-vous la relation entre Jackie Kennedy et son mari ?
 

Frédéric Lecomte-Dieu : Leur couple était bâti sur un accord gagnant-gagnant : quoi qu’il arrive, ils s’épaulaient. Il acceptait de se rendre à ses réceptions, en échange de quoi elle acceptait de tenir à la perfection son rôle de Première dame. Jackie Kennedy était parfaitement au courant des infidélités de son époux, mais elle n’aurait divorcé pour rien au monde : elle ne voulait pas que ses enfants subissent le même traumatisme qu’elle avait vécu petite fille.

En 1963, John et Jackie ont perdu leur fils Patrick, trois jours après sa naissance. De l’avis de tous leurs proches, c’est à ce moment-là que le comportement du président a changé vis-à-vis de sa femme : on pourrait dire que leur histoire d’amour a commencé dix ans après leur mariage. Lorsque JFK a été assassiné, Jackie l’a tenu dans ses bras en lui disant des mots d’amour.

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Frédéric Lecomte-Dieu, ancien publicitaire et attaché de presse pour le cinéma, commissaire d’expositions, travaille depuis 1995 sur les archives Kennedy. En 1998, à Paris, il organise avec l’Unesco une exposition intitulée «Kennedy, le rêve américain». En 2013, il est le commissaire de l’exposition anniversaire «Kennedy, le temps du souvenir», à Paris. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont «Les Kennedy – La vérité sur le clan» (Editions Jourdan, 2013) et «Kennedy – Au cœur de l’Amérique» (Timée Editions, 2010).

Expositions à venir :

– ESPACE JOHN FITZGERALD KENNEDY, au Touquet, du 28 mai au 30 août : 200 photos légendées, robes, lettres manuscrites, témoignages.

– GALERIE JOSEPH, rue Froissart à Paris, du 15 octobre au 16 novembre : 250 photos légendées, robes, lettres manuscrites, témoignages.

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