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Le rachat d’Alstom ou l’inexorable désindustrialisation de la France

Après plusieurs jours de suspense, le conseil d’administration d’Alstom a décidé d’étudier en priorité l’offre de rachat de General Electric, au détriment de celle de son concurrent direct Siemens. Si l’affaire est purement privée, les « intérêts de souveraineté économique » de la France ne doivent pas être mis de côté. Et le gouvernement de suivre de près ce dossier.

Un mois. C’est finalement le laps de temps que s’est laissé Patrick Kron pour étudier l’offre ferme déposée par General Electric (GE) dans le dossier du rachat des activités énergie d’Alstom, géant français de l’industrie dont il est le patron. Tout semblait pourtant joué le weekend dernier, tant l’offre présentée par GE emportait l’adhésion de l’industriel français.

C’était toutefois sans compter l’offre concurrente de Siemens, géant allemand spécialisé dans les hautes technologies, venue contrecarrer les plans initialement établis par Alstom et GE. Sans compter, également, l’acharnement du ministre français de l’économie Arnaud Montebourg, qui, peu de temps après un revers dans l’affaire du rachat de SFR par Numericable, a décidé d’enfiler de nouveau son costume de patriote interventionniste.

Mais alors que l’Elysée s’est emparé du dossier, la question de l’immixtion de l’Etat dans une affaire purement privée fait débat, quand bien même les enjeux portés par l’opération intéressent au plus haut point l’économie française. Alstom, qui emploie aujourd’hui 18 000 salariés, représente en effet l’un des « fleurons » de l’industrie tricolore. 

« Intérêts actionnariaux » contre « intérêts de souveraineté économique »

D’un côté, une enquête OpinionWay publiée par Le Point montre que les Français sont en majorité favorables à une intervention de l’Etat dans l’affaire Alstom. D’après le même sondage, 58 % des personnes interrogées préfèreraient également que la branche énergie du groupe français soit reprise par une entreprise européenne plutôt qu’américaine. Mais de l’autre côté, légal quant à lui, le droit est explicite : l’Etat français ne peut techniquement s’immiscer dans le processus de vente d’une entreprise – ou d’une branche de celle-ci – détenue à 100 % par des personnes privées.

Et c’est le cas avec Alstom, où l’Etat ne possède plus aucune part de capital depuis 2006 et la vente de sa participation au groupe Bouygues. Mais comme se plaît à le rappeler Arnaud Montebourg, fraîchement propulsé ministre de l’économie et du redressement productif, « Le gouvernement voit dans cette affaire qu’il y a des intérêts actionnariaux mais le gouvernement a des intérêts qui sont des intérêts de souveraineté économique ». Et le président de la République, François Hollande, de reprendre le credo interventionniste de son ministre à l’occasion d’une entrevue élyséenne avec les patrons des américain GE et allemand Siemens, candidats déclarés au rachat.

Selon le chef de l’Etat, la France doit nécessairement être partie prenante dans l’affaire, la création d’activité, le maintien de l’emploi et l’indépendance énergétique étant des priorités nationales qu’elle doit préserver.

L’offre de Siemens permettrait de créer un « Airbus des transports »

Sur la question de l’emploi, les deux candidats se sont naturellement prononcés en faveur d’une préservation de l’activité sur le territoire français. Mais alors que Siemens proposerait de maintenir les emplois français pendant trois ans, GE s’est davantage avancé en s’engageant « à faire croître le nombre de ses emplois en France, particulièrement les emplois hautement qualifiés ».

Toutefois, cet engagement n’a été assorti d’aucun chiffre précis par Jeffrey Immelt, patron de GE. S’agissant maintenant du devenir de la branche transport d’Alstom, et tandis que des voix s’élèvent petit à petit pour dénoncer le dépeçage du groupe, François Hollande a tenu à obtenir certaines garanties de la part des deux candidats. Et sur ce volet, c’est cette fois-ci l’Allemand qui s’est montré le mieux-disant. Joe Kaeser, patron de Siemens, a en effet proposé de transférer à Alstom ses trains à grande vitesse, ses locomotives, mais également ses métros et trains de banlieue, beaucoup plus rentables que les premiers.

Ainsi, à terme, si c’est l’offre de l’industriel allemand qui est retenue par le conseil d’administration (CA) d’Alstom, certains y voient déjà la possibilité de créer un véritable « Airbus des transports », faisant directement référence au géant européen de l’aéronautique. Cependant, d’autres restent dubitatifs sur les chances de créer un géant industriel européen à l’occasion du rachat d’Alstom, comme Marwan Lahoud, numéro 2 d’Airbus. Le principal intéressé, Patrick Kron, y est même allé de son mot franc et direct : il a ainsi « toujours pensé que c’était une idée complètement sotte ».

Réalisme économique ou anti-germanisme primaire ? S’il est inutile de nourrir cette polémique, le PDG d’Alstom a bien un passif avec son homologue allemand, le groupe de Munich ayant tenté de faire disparaître le groupe français il y a dix ans. La piste Siemens a beau avoir le soutien du président de la République, François Hollande, et de son ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, c’est pourtant l’offre de GE qui est actuellement étudiée par le CA d’Alstom.

S’il est ici nécessaire de rappeler que l’Etat ne peut avoir de voix délibérante dans ce dossier, il convient de souligner l’importance de la branche énergie du groupe pour l’emploi, l’industrie et l’économie français. Reste à savoir si Patrick Kron aura ces données en tête lorsqu’il paraphera et entérinera la cession de cette activité. Réponse dans un mois.

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