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Le vote français aura de lourdes conséquences sur la construction européenne

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La France s’est, une nouvelle fois, distinguée par son euroscepticisme. L’arrivée du front national en tête des élections européennes risque d’être lourde de conséquences pour le couple franco-allemand mais aussi pour l’influence de la France au sein de l’Union européenne. 

JOL Press : Comment ces résultats sont-ils vus de Bruxelles ?

Jean Quatremer : Ce qui est assez étrange c’est qu’on a l’impression que la France est en plein programme d’assistance européenne et que des politiques d’austérité y ont été menées, alors que ce n’est absolument pas le cas. On a l’impression que les Français ont vécu les cures d’austérité subies par les pays du sud de l’Europe par procuration. Non seulement la France n’a pas connu de politique d’austérité mais elle n’a même pas encore subi de politique de rigueur. On a l’impression que le pays est en dépression collective. La France vit moins une crise réelle qu’une crise fantasmée.

Vu de Bruxelles, la France traverse une crise de la démocratie où le système présidentiel est arrivé à son terme. On élit un président qui est une sorte de roi et six mois plus tard on le déteste. Les Français n’aiment jamais autant leur président que lorsqu’il est à la retraite ou quand il est mort. La mise en scène de l’affrontement entre deux camps irréductibles, la droite et la gauche, n’est pas compatible avec le système européen qui fonctionne sur la base du consensus. Et tout cela concourt à renforcer la crise française.

JOL Press : Angela Merkel a gagné malgré la poussée du SDP et des anti-euro de l’AfD et François Hollande a essuyé un profond désaveu. Quelles vont être les conséquences pour le couple franco-allemand ?

Jean Quatremer : Les Allemands ont fait preuve d’une maturité démocratique en comparaison avec les Français. La France n’en est pas à ses premières séquences d’affaiblissement, on est presque à la phase terminale. Déjà en 2002, l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour avait fortement secoué les Allemands, ensuite il y a eu 2005 avec le référendum sur le traité constitutionnel européen où le gouvernement français a montré qu’il était incapable de convaincre ses citoyens du bien fondé d’un texte qu’il avait lui-même négocié, et aujourd’hui le Front national arrive en tête. Les Allemands s’interrogent sur notre pays. La parole des autorités françaises ne vaut plus grand-chose sur la scène européenne, il est là le drame. Lorsque la France s’engage à faire des réformes, comment la croire à partir du moment où on sait que la moindre manifestation ou la moindre élection intermédiaire va freiner ces réformes ?

Il va désormais être très difficile d’être cru sur la scène européenne mais il va être aussi très difficile d’avancer nos propositions pour changer l’Europe, même si elles sont fondées. Déjà que, depuis deux ans, on n’entendait pas beaucoup François Hollande sur la scène européenne, je pense que désormais on va encore moins l’entendre.

JOL Press : François Hollande a perdu tout crédit sur la scène européenne ?

Jean Quatremer : Quel est son poids sur la scène européenne après un tel désaveu ? François Hollande est totalement crédibilisé, comme l’a été en son temps Jacques Chirac. Le seul qui avait réussi à ramener la France sur le devant de la scène européenne, c’est Nicolas Sarkozy qui avait réussi à faire oublier le traité constitutionnel européen par le traité de Lisbonne et qui avait réussi, par son activisme au moment de la crise de la zone euro, à réoccuper un espace politique que la France avait perdu.

Comment peut-on proposer aux Allemands une mutualisation des dettes publiques, c’est-à-dire leur demander une solidarité financière, à partir du moment où on a un peuple qui massivement refuse toute réforme au nom de la défense des droits acquis et d’un modèle social qui produit de l’exclusion en masse. Dans ce contexte, les Allemands n’ont pas du tout envie de nous donner le numéro de leur carte de crédit. Comment proposer un budget de la zone euro, qui implique de la solidarité financière, quand vous n’êtes pas prêt à faire les efforts que les Allemands fournissent depuis cinq ans ?

JOL Press : Le Parti démocrate, parti de centre-gauche du chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, est arrivé en tête aux élections européennes. Comment expliquer, en comparaison, la déroute  de François Hollande ?

Jean Quatremer : Matteo Renzi a adopté un rythme réformateur extrêmement rapide et n’a pas hésité à s’attaquer au mille-feuille administratif. François Hollande a mis deux ans, par exemple, avant de proposer une réforme territoriale et ne cesse depuis de reporter l’application de cette réforme. En France, François Hollande ne fait que reporter les réformes. Les 50 milliards d’économies sont avant tout un gel des dépenses publiques, on ne tranche pas dans le vif. François Hollande aurait dû faire passer ces réformes dans les six premiers mois de son élection. L’exemple type de cette mauvaise gestion, c’est le Mariage pour tous. Il a mis un an à boucler une réforme qui aurait dû l’être en l’espace de trois mois. Il a laissé traîner, il a laissé ses opposants s’organiser et résultat la France est déchirée.

Je crois même que la crispation autour du Mariage pour tous a aussi fait le jeu du Front national. Toute une France conservatrice a pu s’organiser dans les campagnes et les villes moyennes là où le FN a fait ses meilleurs scores.

JOL Press : François Hollande et David Cameron, dont le parti est aussi arrivé en troisième position, risquent donc d’être bien mal alaise à ce diner avec les 28 chefs d’Etat et de gouvernement ?

Jean Quatremer : Le problème que nous avons maintenant collectivement c’est que vous avez deux grands pays qui sont affaiblis. En Grande-Bretagne c’est un peu moins grave qu’en France parce que sans la France ou sans l’Allemagne il ne pas y avoir de construction communautaire. Quand le couple franco-allemand a dysfonctionné dans le passé, notamment pendant la cohabitation Jospin-Chirac, la construction européenne s’est stoppée pendant cinq ans. Avec une France affaiblie, une France incapable d’être une force motrice et une source de modernité, vous ne pouvez pas avoir une Europe qui fonctionne. C’est très grave pour l’avenir de la construction communautaire.

Par ailleurs, en laissant le Front national arriver en tête, les Français vont obtenir exactement le contraire de ce qu’ils voulaient. L’Europe va continuer sur sa lancée conservatrice et libérale. Si la majorité de gauche avait émergé, la France aurait pu peser sur la réorientation de l’Europe.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Journaliste à Libération et rédacteur du blog « Coulisses de Bruxelles ».

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