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Les caricaturistes, ces «héros modernes, garants de la démocratie»

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Synopsis : « 12 fous formidables, drôles et tragiques, des quatre coins du monde, des caricaturistes, défendent la démocratie en s’amusant, avec, comme seule arme, un crayon, au risque de leurs vies. Ils sont: français, tunisien, russe, mexicain, américain, burkinabé, chinois, algériens, ivoirien, vénézuélienne, israélien et palestinien ».

JOL Press: Que vouliez-vous mettre en lumière dans votre documentaire ?
 

Stéphanie Valloatto : Dans ce documentaire long-métrage, je voulais mettre en lumière des histoires humaines fortes et profondes à travers le parcours de ces caricaturistes à la fois journalistes et artistes qui se battent avec humour pour la liberté et la démocratie en filmant avec mon équipe en immersion totale dans le quotidien du dessinateur.

Je voulais que l’on découvre l’état des pays et que l’on sorte des clichés que l’on peut avoir sur certains pays comme le conflit israélo-palestinien en montrant qu’un dessinateur israélien, Kichka, et un dessinateur palestinien, Boukhari, peuvent à la fois critiquer l’absurdité de leur propre dirigeant politique et s’aimer comme des frères en rêvant de la paix.

Je voulais que l’on découvre la réalité du régime politique au Venezuela en montrant le quotidien de la dessinatrice Rayma qui est menacée et contrôlée chaque jour quand elle sort dans la rue, quand elle achète une pastèque ou fait un dessin qui critique le pouvoir. Je voulais mettre en lumière l’idée que la France et les USA ne doivent pas être des donneurs de leçons : Plantu et Danziger nous montrent les zones d’ombre de nos « démocraties » : les pressions politiques, les pressions des grands groupes économiques et la censure dès qu’on touche à la religion.

JOL Press: La caricature, un moyen de contourner les tabous dans une société ?

Stéphanie Valloatto : Dans ce film, je voulais aussi montrer que l’humour dans les dessins et la bonne humeur chez chaque caricaturiste permet de contourner les interdits et les tabous idéologiques, religieux, politiques, économiques dans un pays. Il ne faut pas avoir peur ; il faut oser avoir une opinion. On peut se battre au quotidien pour des valeurs dans lesquelles on croit avec humour et avec intelligence. Si les caricaturistes le font, malgré les menaces et les pressions, pourquoi ne pourrait-on pas le faire ?

JOL Press: Les caricaturistes sont-ils selon vous des acteurs clés de la démocratie ?
 

Stéphanie Valloatto : Pour moi, les caricaturistes sont des héros modernes en se servant de leur crayon comme une arme et en pointant ce qui ne va pas dans une société. Ils sont les garants de la démocratie en usant de leur droit d’expression.

JOL Press: Sont-ils en première ligne des pressions politiques et intimidations ?

Stéphanie Valloatto : Oui, car un dessin dans une page de journal ou sur un site web se voit immédiatement. Une fois qu’on a vu un dessin, on ne peut pas l’oublier. Les caricaturistes sont donc les premières victimes avec les journalistes de pressions politiques, économiques et religieuses.

En France, Plantu a subi des pressions de la part de Sarkozy, et dès qu’il critique une religion, il reçoit des menaces ou est convoqué au Tribunal. Dans une société non démocratique, les caricaturistes sont les premières cibles. L’exemple du caricaturiste syrien, Ali Ferzat, montre qu’en dessinant Bachar Al Assad, il a risqué la mort en se faisant kidnappé, tabassé et brisé les doigts.

En Russie, le caricaturiste Zlatkovsky est interdit de dessiner Poutine sous peine d’être mis en prison ou assassiné. Il a souvent été obligé de gagner sa vie en conduisant illégalement un taxi la nuit.

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JOL Press: Qu’est-ce que vous avez appris sur le métier de dessinateur de presse pendant le tournage du documentaire ?

Stéphanie Valloatto : En filmant les caricaturistes, j’ai découvert que dessiner, c’est un vrai métier, solitaire et exigeant. Chaque matin, Plantu, caricaturiste au Monde depuis 42 ans, seul chez lui écoute les actualités à partir de 6H du matin et doit impérativement rendre son dessin à 10H : le stress est chaque jour le même. Et même si le rédacteur en chef au journal Le Monde valide son dessin, qu’il est publié, Plantu n’est jamais à l’abri de menaces pour un dessin sur un homme politique ou sur le pape. Son téléphone peut sonner sans cesse, sa boîte mail exploser, il peut se faire insulter… Il faut avoir un moral d’acier et beaucoup d’énergie pour continuer.

En Chine, j’ai découvert que le dessinateur Pi San ne pouvait pas s’exprimer de façon directe mais de manière métaphorique. Pour lui, « le pire ce n’est pas de perdre sa liberté extérieure mais le plus important c’est de garder sa liberté intérieure ». Pi San, dans ses dessins, ne s’attaque pas directement au gouvernement mais aux fondementaux de la société chinoise : l’éducation et le système scolaire.

En Tunisie, Nadia Khiari – alias Willis From Tunis – se bat chaque jour avec ses dessins représentant toujours un chat qui a beaucoup d’humour pour dénoncer les abus du pouvoir politique et des barbus. Nadia est une femme toujours en rage et elle l’exprime dans ses dessins sur le web, sur les murs de Tunis mais également dans des comités de soutien pour les Tunisiens mis en prison parce qu’ils ont osé dire ce qu’ils pensaient.

Au Venezuela, Rayma vit dans un quartier surveillé, il y a des grilles et des chaînes aux fenêtres de sa maison… Elle vit l’isolement car quand elle sort, elle peut être agressée, kidnappée, arrêtée… Ses seuls échappatoires sont le scooter sur lequel elle ne peut pas être reconnue avec son casque et la plage à 2 heures de route de Caracas. Rayma a souvent pensé à quitter son pays mais elle ne peut pas, car elle doit continuer le combat contre un pouvoir d’oppression corrompu.

Tous ces caricaturistes sont des gens profondément humains, intelligents et drôles : ensemble, ils forment une véritable communauté d’âmes et de coeurs engagés dans le combat pour la liberté et la démocratie.

JOL Press: Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés pendant le tournage notamment dans les pays où la liberté de la presse est menacée ?
 

Stéphanie Valloatto : Le tournage dans chaque pays a été minutieusement préparé, afin de ne pas mettre l’équipe en danger. Notre régisseuse a fait un super travail en nous connectant avec des fixeurs. Les ambassades de France nous ont beaucoup aidés. Mais dans certains pays, ça n’a pas été simple. On a souvent dit qu’on venait faire un film sur l’urbanisme dans les grandes villes pour obtenir notre visa. On pensait aux caricaturistes qu’on interviewait, on ne voulait pas les mettre en danger. Tous ceux qui avaient accepté nous ont dit qu’en témoignant dans le film, cela les exposerait au niveau international et que le film les protégerait.

Sur le terrain, nous prenions beaucoup de précautions : en Chine, nous avons surtout filmé dans le quartier 798, le quartier artistique dans lequel Pi San travaille et lorsque nous sommes allés filmer chez Ai Weiwei, nous n’étions pas rassurés car des policiers sont dans rue et des caméras filment toutes les entrées et sortie. Je n’étais pas tranquille car on aurait pu nous arrêter et saisir les images tournées. Le soir-même nous avons laissé les disques durs à l’Ambassade. Nous voulions filmer près de la place Tian an Men mais dès qu’on a posé la caméra sur le toit pour faire un travelling, on a été arrêtés en nous demandant de ne pas filmer.

Bande-annonce du documentaire « Caricaturistes, fantassins de la démocratie » :

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