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L’Union européenne, colosse économique aux pieds d’argile

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Si l’Union européenne est aujourd’hui une puissance économique mondiale indéniable, elle peine encore à aller jusqu’au bout de ses réformes. Crédit photo: Rob Wilson / Shutterstock.com

JOL Press : Qu’est-ce qui fait aujourd’hui de l’Union européenne la première puissance économique mondiale ?
 

Paul Goldschmidt : Avec un PIB de près de 18 000 milliards d’euros en 2013, l’Union européenne dépasse celui des États-Unis. C’est aussi le plus grand marché du monde : avec plus de 500 millions d’habitants, contre un peu plus de 300 millions aux U.S.A.

JOL Press : Quelles réformes pour maximiser la puissance économique européenne ont été faites depuis le traité de Lisbonne ?
 

Paul Goldschmidt : Depuis le traité de Lisbonne, l’Europe a vécu sa plus grande crise économique depuis les années 30. Les réformes se sont largement concentrées sur les marchés financiers, considérés comme les déclencheurs de la crise. Il y a donc eu une réforme très profonde de tout le secteur financier qui n’est cependant pas achevée.

Un gros travail législatif a ainsi été fait depuis la crise de 2008. Cela s’est traduit par la signature de plusieurs  traités : le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le  Mécanisme européen de stabilité  financière(MESF), suivi du MES (le Mécanisme européen de Stabilité). Il y a ensuite eu la législation sur le « six-pack », le « two-pack » et le Traité budgétaire qui devaient encadrer les procédures budgétaires européennes, non de l’UE elle-même, mais des pays membres. La réforme la plus emblématique est ensuite l’introduction de l’Union bancaire.

JOL Press : Pourquoi certaines de ces réformes n’ont-elles pas permis à l’Europe de sortir la tête de l’eau ?
 

Paul Goldschmidt : L’UE/UEM est en effet encore loin d’avoir résolu tous ses problèmes. L’introduction de la monnaie unique a permis l’unification de la politique monétaire de l’Union économique et monétaire, confiée à la Banque Centrale Européenne (BCE) ; elle devait être accompagnée par une intégration plus poussée des politiques économiques y compris fiscales.

Mais on n’y est pas vraiment arrivé. Aujourd’hui, on se trouve dans une situation où les différents traités sont à géométrie variable : le traité de l’UE concerne 28 pays, celui de l’Union monétaire concerne 18 pays, le MES en concerne 24 et le traité budgétaire 25. On  a créé une Union où les enceintes de décision varient et sont devenues totalement illisibles pour le citoyen.

JOL Press : Par rapport aux autres grandes puissances économiques mondiales, le modèle de l’Union bancaire n’est donc pas idéal ?
 

Paul Goldschmidt : Si l’on compare le modèle de gestion de l’économie européenne avec celui des États-Unis, du Japon, de la Chine ou du Royaume-Uni, sa structure est différente. Tous ces pays ont, en face d’une banque centrale, un gouvernement qui gère un budget significatif  financé par une capacité de taxation et d’emprunt correspondante. En Europe, la BCE n’a personne en face d’elle.

La Commission européenne gère un budget dérisoire (environ 1% du PIB de l’UE)  ; elle ne peut donc pas, comme aux Etats-Unis, redistribuer aux Etats Membres de l’UEM des fonds provenant d’un endettement européen (eurobonds) dont une partie pourrait être achetée par la BCE (quantative easing) si le Traité l’autorisait – ce qui n’est pas le cas actuellement.

Réformer l’architecture institutionnelle de l’UEM pour surmonter ces difficultés implique un changement important des Traités pour laquelle il n’y a guerre d’appétit étant donné la difficulté de réunir l’unanimité nécessaire.

JOL Press : Comment arriver à la création d’un budget et de ressources propres à l’UE ?
 

Paul Goldschmidt : Même s’il sied de reconnaître les progrès indéniables engrangés de puis la crise, à la longue, le contribuable allemand n’a pas envie de payer pour les déficits de la France si un équilibre approprié n’est pas établi entre plus de discipline et de réglementation contraignante et une plus grande solidarité.

Ce qu’Angela Merkel et les fédéralistes sous-entendent, c’est que ce côté disciplinaire est mieux encadré si l’on a un pouvoir exécutif avec un budget et des ressources propres au niveau européen, plutôt que de compter sur la bonne volonté des  pays membres.

Mais, si nous voulons en arriver à un gouvernement de l’Eurozone avec son  budget, ses ressources propres et une capacité d’emprunt autonome, cela implique des transferts de souveraineté significatifs vers l’Union économique et monétaire. Ici, les positions politiques divergent fondamentalement entre les eurosceptiques, nationalistes populistes et souverainistes d’une part et ceux qui sont prêts à compléter l’intégration économique et – in fine – politique de l’UEM.

Nous sommes donc aujourd’hui dans une situation extrêmement fragile où la pérennité de l’Euro, de l’UEM et même de l’Union elle-même est loin d’être assurée. Mais il est évident que vis-à-vis du reste du monde, si l’on veut s’assoir à la même table que les Américains, les Chinois, les Japonais ou les Brésiliens, il vaut mieux parler d’une seule voix en tant qu’Union Européenne.

JOL Press : La perte de crédibilité et de confiance des Européens dans les institutions européennes n’est-elle pas due au système de décision et à l’absence de véritable direction à la tête de l’UE ?
 

Paul Goldschmidt : Il est évident qu’il y a un manque de légitimité démocratique de l’Union européenne. Pour devenir membre de l’UE, il faut répondre aux fameux critères de Copenhague, condition sine qua non pour l’adhésion. Être une démocratie est le principal de ces critères. Les 28 pays membres y répondent – grosso modo – mais le problème, c’est que l’UE elle-même n’y répond pas : la structure institutionnelle de l’UE n’est pas démocratique.

En effet, le Conseil Européen est formé de membres légitimes vis-à-vis de leur opinion publique et de leur propre population, mais Mme Merkel n’a, par exemple, aucune légitimité pour représenter tel citoyen belge ou français au sein du Conseil. Concernant le Parlement européen, il est bien sûr élu au suffrage universel mais quand les 28 pays votent, le vote d’un Français n’est pas égal au vote d’un Allemand ou d’un Belge, parce que le système électoral est différent dans chacun des pays. Il n’y a donc pas, au niveau européen, de système électoral qui réponde au critère de Copenhague. Quant à la Commission Européenne, il suffit de regarder comment sont nommés le Président et les Commissaires ; de plus, les Membres de la Commission européenne exercent un mandat  hybride à caractère mi politique mi administratif.

Ceci explique le malaise européen et c’est pour cela que les fédéralistes veulent effectivement avoir (au moins au niveau de l’Eurozone)un organe exécutif central responsable devant un parlement avec deux chambres législatives représentant d’une part les citoyens et de l’autre les Etats Membres(1). Cela implique aussi un renforcement de la subsidiarité, c’est-à-dire de ne mettre au niveau fédéral que les choses qui doivent s’y trouver. On y a déjà mis la monnaie, mais pas  encore, par exemple la défense ou la politique étrangère. Et l’on voit la « cacophonie » que cela a pu donner lors de la crise ukrainienne avec la Russie. 

(1)Un dossier contenant des propositions détaillées sur la teneur d’une réforme des Traités est disponible sur le site de l’Institut Thomas More sous le titre : Note N° 15 : Propositions pour une Fédération européenne à 18 au sein d’une Union européenne à 28.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Paul Goldschmidt est diplômé de l’Université Libre de Bruxelles et Licencié en Sciences Commerciales et Financières. Il rejoint Goldman Sachs à New York (1962-69) puis Goldman Sachs International à Londres dont il devient administrateur (1970-1985).

Après 7 ans en tant que consultant dans la sphère financière à Londres et Monaco (1985-1993), il devient directeur du service « Opérations Financières » au sein de la direction Générale « Affaires Economiques et Financières » de la Commission Européenne (1993-2002) où il a joué un rôle primordial dans l’harmonisation et la réforme des marchés financiers européens avant et pendant l’avènement de l’euro.

Il siège alors au Conseil d’Administration du Fonds Européen d’Investissements (2001-2002). Depuis 2002, il écrit sur des sujets politiques et financiers d’actualité et participe à de nombreux colloques internationaux. Il est membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More.

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