Site icon La Revue Internationale

Nouveaux mots: est-ce inquiétant si le français s’anglicise de plus en plus ?

[image:1,l]

JOL Press : Les dictionnaires viennent d’annoncer les nouveaux mots qu’ils intègrent pour leur dernière édition, avec notamment Larousse (vapoter, scud, tag, annus horribilis) ou Robert (selfie, hashtag, cyberattaque). Une tendance se dégage-t-elle dans ces nouveaux mots ?
 

Bénédicte Madinier : La langue a toujours évolué de cette façon, soit en inventant des mots nouveaux, soit en en empruntant à d’autres langues, comme l’anglais ou l’italien.

La seule véritable tendance qui se dégage est la rapidité. Les mots changent plus vite qu’avant. Prenons l’exemple de l’expression « une tuerie » : je connaissais le terme analogue « mortel », qui n’était déjà pas très vieux. Le renouvellement des mots est bien plus fréquent.

JOL Press : Le dictionnaire semblait être auparavant le « gardien » du langage et de son évolution sociétale. Aujourd’hui, à l’inverse, il semble suivre les évolutions de fait de la société. Cette adaptation à la société ne lui fait-il pas perdre son essence ?
 

Bénédicte Madinier : Le gardien de la langue est essentiellement l’Académie française. Elle a d’ailleurs son dictionnaire, bien que celui-ci soit peu connu. Les dictionnaires sont souvent vus comme des régulateurs de la langue, qui indiquent ce qu’il faut dire. Or leur but n’est pas là : un dictionnaire a toujours été une sorte de miroir de la langue. Il regarde l’usage, le reproduit et l’entérine.

Néanmoins je suis d’accord avec vous : les dictionnaires cherchent en permanence, aujourd’hui, à rattraper les évolutions de fait. Intégrer l’expression « c’est une tuerie » n’est pas vraiment utile, en ce qu’il y aura sûrement, dans peu de temps, un autre mot à la mode pour décrire le même sentiment. A force de vouloir refléter des usages qui évoluent très vite, ils perdent un peu cette qualité de référence. Un dictionnaire demeure une référence.

JOL Press : Si un dictionnaire est une référence, quel est l’intérêt d’y intégrer des mots familiers – ou même parfois vulgaires – et les consacrer par la même occasion ?
 

Bénédicte Madinier : Il est évident qu’un dictionnaire consacre un usage. Et la langue est faite des mots que l’on prononce, vous et moi, chaque jour. Qu’un mot familier figure dans le dictionnaire est normal et très ancien, à condition qu’il soit accompagné de la mention « familier ».

Néanmoins, peut-être qu’il en figure de plus en plus. Le dictionnaire ne reflète pas que la belle langue : il renferme également des mots familiers, d’autres rares ou très peu usités car très scientifiques… La qualité première d’un dictionnaire est d’être exhaustif, et donc contenir le plus de mots employés couramment.

JOL Press : L’adaptation du dictionnaire à la société, si elle consacre de mots nouveaux, en supprime-t-elle également ? Des mots sortent-ils des dictionnaires, car trop obsolètes ?
 

Bénédicte Madinier : C’est exact, et je pense que c’est toujours un crève-cœur de faire sortir un mot d’un dictionnaire.

JOL Press : Le nombre croissant d’anglicismes est-il inquiétant pour notre langue ? Induit-il que la langue française n’est pas assez riche pour se renouveler ?
 

Bénédicte Madinier : Cette question est tout l’objet de notre travail à la Délégation générale à la langue française. Nous sommes chargés d’un dispositif d’enrichissement de la langue qui n’est pas contre emprunter à l’Anglais, mais fait en sorte que le Français reste une langue vivante. Et ce n’est plus le cas si le Français n’a à sa disposition que des mots datant des écrits de Balzac, Zola, Proust ou Gide.

Notre objectif est donc de créer des termes français pour les nouvelles réalités qui apparaissent, dans tous les domaines (informatique, automobile, télévision, sciences…). C’est une préoccupation importante, car si nous entrons tous, et de plus en plus, dans la logique des anglicismes, le Français va rapidement se démoder et devenir, lui, obsolète. La langue française doit servir à lire des livres d’autrefois, mais aussi à parler de réalités actuelles.

JOL Press : L’anglicisation de notre langue est-elle plus intensive ces dernières années ?
 

Bénédicte Madinier : Elle est en tout cas nettement plus visible ! Et c’est principalement à cause d’Internet. En outre, tout va tellement vite qu’un mot qui mettait du temps, il y a dix ans, à se diffuser, s’installe aujourd’hui à travers le monde en quelques jours, via les réseaux sociaux notamment.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

———————–

Bénédicte Madinier dirige la mission du développement et de l’enrichissement de la langue, au sein de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (organisme chargé de la politique de la langue, rattaché au ministère de la  Culture et de la Communication).

Quitter la version mobile