Site icon La Revue Internationale

Quand la religion s’invite dans l’entreprise…

[image:1, l]

JOL Press : Dans votre rapport, quelles formes et fréquences des faits religieux en entreprise avez-vous pu constater ?
 

Lionel Honoré : Il y a 80% des entreprises qui sont concernées par la question des faits religieux. En termes de fréquence, elles ne sont pas toutes concernées de la même manière. 12% des entreprises y sont confrontées très souvent, c’est-à-dire presque chaque jour, un tiers, régulièrement, toutes les deux semaines voire une fois par mois, et puis il y a une grosse moitié des entreprises, 55% environ, qui y est soit rarement, soit jamais confrontée.

La plupart des questions qui ont trait à la religion sont des choses qui sont en fait très banales et que l’on retrouve avec d’autres motifs que la religion. Par exemple, des demandes d’absence, pour aller à des fêtes religieuses, des demandes d’aménagement de travail pour tenir compte de choses et d’autres. Ceci constitue une première catégorie.

Une seconde catégorie regroupe des demandes personnelles, qui vont au-delà simplement de l’aménagement du temps de travail : une demande de prier pendant une pause notamment. Et puis il y a d’autres types de demandes qui sont des demandes qui ont une dimension parfois transgressive, voire politique. Transgressif par exemple, quand on a un refus de travailler avec une femme, un refus de travailler avec des gens qui ne sont pas coreligionnaires, un refus de réaliser des tâches pour des motifs religieux comme ne pas vouloir pousser un chariot qui contiendrait de l’alcool ou du porc.

Ce n’est pas ce qu’on rencontre le plus sur le terrain. Ce qu’on rencontre le plus, sont surtout des demandes d’aménagement de travail ou d’absence. Parmi les gens qu’on a interviewés, un peu moins de 8% ont déjà rencontré des cas de refus de travailler avec des femmes. Environ 7% des personnes concernées par le fait religieux ont été confrontées à des cas de prosélytisme au travail et 5% ont déjà eu des refus de réaliser des tâches pour motifs religieux. Ce n’est donc pas ça que l’on rencontre le plus souvent mais ça existe.

Il y a donc deux grandes catégories de faits religieux : soit ce sont des demandes personnelles que le manager de proximité peut traiter comme d’autres demandes personnelles. Finalement, entre quelqu’un qui veut être absent pour une fête religieuse ou pour aller à l’ouverture de la chasse, il n’y a pas tellement de différence pour le manager. Soit ce sont des demandes qui ont un caractère plus transgressif, bloquant et qui visent à imposer finalement au fonctionnement de l’entreprise des principes religieux.

JOL Press : Où rencontre-t-on ce phénomène ? Y a-t-il plus de chance de le rencontrer en ville ? A la campagne ? Dans des grandes ou des petites entreprises ?
 

Lionel Honoré : C’est un phénomène que l’on rencontre partout, dans tout type d’entreprise. Cependant, on le rencontre davantage dans des entreprises qui sont des entreprises industrielles ou de services et qui ont  un personnel ouvrier ou employé. On le rencontre moins quand on a une population de cadres, c’est très net, mais il n’y a pas de professions en elles-mêmes qui sont concernées.

Même s’il est présent de partout, ce phénomène est tout de même concentré dans les zones urbaines, dans les grandes métropoles et dans les périphéries de ces dernières. Autour de Lyon, de Marseille, de Paris, davantage de problèmes se posent. Ceci amène à dire que ce sont plus des problèmes sociétaux qui vont pénétrer l’entreprise. L’entreprise en elle-même n’est pas un lieu où la question de la religion se pose, mais lorsqu’il y a une problématique communautariste ou religieuse dans un territoire, les entreprises présentent sont impactées.

Ce que l’on peut noter c’est qu’il y a peu de cas qui sont des cas très problématiques. Sur 80% d’entreprises concernées, il y a simplement 25% d’entre elles dans lesquelles les managers ont à réagir. La plupart du temps, les faits religieux sont indolores, invisibles, ils ne perturbent pas l’entreprise. Il n’y a que 2 ou 3% des entreprises dans lesquelles on va retrouver des cas qui sont vraiment conflictuels et où les managers y sont confrontés pratiquement tous les jours au point où ils deviennent complètement débordés par la situation.

12% des entreprises sont confrontées tous les jours à des faits religieux et ce sont ces 12% qui vont concentrer les cas problématiques et conflictuels. C’est donc un phénomène qui est très répandu mais qui n’est problématique que dans très peu de cas, et ces très peu de cas vont être concentrés dans quelques entreprises.

Enfin, on retrouve des hommes comme des femmes, ainsi que toutes les religions, avec une dominance de l’islam puisqu’elle concerne plus de 90% des cas.

JOL Press : La radicalisation de l’islam dans certains milieux peut-elle entrainer la radicalisation des autres religions ?
 

Lionel Honoré : Les demandes des catholiques sont peu visibles car il y a assez peu de contraintes dans les règles de la religion qui s’imposent aux croyants et aux pratiquants. Rien ne les oblige à prier en journée et il n’y pas d’obligation de porter de signes religieux. C’est donc beaucoup moins visible. Les religions qui vont poser questions sont plutôt les religions qui se voient dans les comportements religieux de leurs adeptes : l’islam, le judaïsme,…

On constate dans 97% des cas qu’il n’y a pas de radicalisation. La radicalisation sur cette question du fait de la religion en entreprise va concerner nos 2 à 3% de cas problématiques. Ces cas vont se caractériser par des gens qui vont remettre en cause la légitimité de l’entreprise à donner des ordres et à contraindre les salariés, remettre en cause la légitimité du manager. Ce sont des gens qui vont refuser de discuter, qui vont menacer d’accuser l’entreprise de discrimination et qui vont rendre le conflit collectif. Ces personnes vont essayer d’imposer à l’entreprise les principes religieux.

Quand on est dans un environnement où la religion est quelque chose de problématique parce qu’il y a des comportements extrémistes, quand on est dans une zone où il y a des tensions sociales et religieuses, nous en sommes impacter dans notre travail et dans notre comportement. Une personne qui a une pratique de la religion qui est apaisée va plus facilement s’adapter et mettre sa religion de côté dans le monde du travail.

Ce que l’on constate depuis un an, par rapport à l’année dernière, c’est que le sujet s’est un peu « cripsé ». Il y a eu l’affaire Baby loup, le mariage pour tous… et ce qui ressort des entretiens qu’on a pu mener dans le cadre de ce travail, c’est que les gens en discutent plus. Ils n’hésitent plus à affirmer leur positionnement et font remonter davantage de frictions entre collègues, de stigmatisations, de moqueries… Mais pour autant, on constate aussi que les gens ont une tolérance à la religion. Ce n’est pas un tabou, les gens en discutent volontiers et acceptent parfaitement aussi d’avoir des collègues qui soient croyants et pratiquants tant que cette croyance et cette pratique ne les contraint pas eux, que ça reste neutre et que ça n’impact pas le travail.

JOL Press : Comment les managers peuvent-ils réagir ? Existe-t-il des formations ?

Lionel Honoré : Il est important que les entreprises donnent des outils aux managers comme une formation, mais ce qui est primordial, c’est avant tout que l’entreprise soit très claire sur ce qu’elles acceptent comme comportement et ce qu’elles n’acceptent pas.

Pour les managers, ce qui est essentiel, c’est de pouvoir évacuer la question religieuse. Par exemple quelqu’un qui veut prendre une pause pour prier doit avant tout être considéré comme quelqu’un qui veut prendre une pause. Il faut non pas se poser la question de savoir si c’est légitime de le faire pour une question religieuse mais plutôt si cela perturbe la réalisation du travail et si cela peut être géré. Si on peut la gérer, alors il n’y aucune raison de s’opposer à une demande même si elle a un caractère religieux.

JOL Press : Des propositions de loi ont fleuri l’année dernière. Une loi serait-elle vraiment utile ?

Lionel Honoré : La seule chose que pourrait faire une loi, à mon sens, c’est de laïciser l’entreprise et ça, je ne suis pas sûr que ça soit une bonne solution.

Hormis un effet couperet d’interdiction totale, ce qui poserait beaucoup plus de problèmes que ça ne pourrait en résoudre, et constitutionnellement parlant, et par rapport aux libertés et aux droits de l’Homme, je ne vois pas trop ce qu’une loi pourrait apporter.

Il y a déjà dans les dispositifs juridiques qui existent tout un tas d’outils qui permettent de répondre à la plupart des situations. Ce que pourrait faire l’Etat, s’il devait intervenir, ce serait de les rappeler.

Plutôt qu’une loi, la question qui se pose est comment peut-on accompagner les entreprises qui y sont confrontées.

Propos recueillis par Marianne Fenon pour JOL Press

Quitter la version mobile