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Quand les partis entretiennent le sentiment du «tous pourris»

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La vie politique française, gangrenée par les scandales, pain bénit pour le FN ? (Photo : Shutterstock)

Sur BFM-TV, Jean-Marie Le Pen a qualifié l’affaire Bygmalion de « bombe thermonucléaire » qui « remet en cause les institutions de la République ». Le spectacle offert par les partis politiques semble être du pain béni pour les populistes. N’en sont-ils pas conscients ?

JOL Press : Ce qui se passe à l’UMP nourrit un sentiment de « tous pourris ». Comment les hommes politiques ne s’en rendent-ils pas compte ?

Raphaël Liogier : Les hommes politiques se rendent bien compte du spectacle désastreux qu’ils offrent aux Français mais ils n’arrivent pas à sortir du jeu dans lequel ils sont pris. Aujourd’hui, à l’échelle de l’État nation, on ne peut plus gouverner, les vraies décisions ne se prennent qu’au niveau continental dans un monde globalisé. Or les pays européens sont ancrés dans l’idée qu’ils continuent à être de grandes nations, ce qui est faux. Les hommes politiques le savent c’est pourquoi leurs seules motivations se résument à prendre la direction de partis ou de mouvements, rester le plus longtemps possible à la tête de la présidence de la République, réussir à devenir députés, etc.

On ne peut plus gouverner aujourd’hui, les hommes politiques sont impuissants face aux enjeux économiques et sociaux. Puisqu’ils sont impuissants, ils savent qu’ils sont condamnés à être impopulaires puisque, quoi qu’il arrive, ils n’y arriveront pas. La seule chose qu’il leur reste, c’est la lutte des places. Ils ont conscience de faire monter ce sentiment de « tous pourris » et ils passent leur temps à dénoncer ceux qui sont encore plus pourris mais ils sont pris à leur propre piège.

JOL Press : Au-delà de la popularité, c’est aujourd’hui l’intégrité des hommes politiques qui est remise en cause. Quel message vont retenir les Français de tout cela au lendemain des européennes ?

Raphaël Liogier : Puisqu’il n’y a plus de possibilité d’agir politiquement, la seule chose qui reste aux hommes politiques, c’est l’intérêt personnel. Ils sont tous, plus au moins, impliqués dans des affaires pas très reluisantes. Certaines sortent au grand jour et donnent une image désastreuse de la vie politique. Tout ceci est comme une pièce de théâtre avec de mauvais acteurs : on voit bien, à l’occasion de débats, qu’ils s’attaquent les uns les autres sans entrer dans le fond des choses. Lors de la campagne pour ces européennes, très peu de questions de fond ont été abordées. Et le soir des résultats, les hommes politiques ont préféré se rejeter la responsabilité de la montée du FN plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes et de donner aux Français l’impression d’avoir entendu leur appel.

Et face à ce spectacle, le seul parti qui fait des propositions et qui parle du fond, c’est le Front national. Quand le FN propose de sortir de l’euro, la seule réponse qu’on leur oppose c’est que la République est en danger. On ne parle pas de fond, on lance des anathèmes. C’est un vrai problème. Le FN entretient la fiction qu’on peut continuer à exister avec nos souverainetés nationales et personne n’ose dire que ce système est dépassé parce que c’est très impopulaire. En ne s’attaquant pas aux idées, on donne l’impression aux Français de ne plus en avoir.

JOL Press : Ce manque de réponses aux préoccupations des Français creuse l’écart entre les élites et le peuple. Tout ceci n’est-il pas le terreau de la montée des populismes justement ?

Raphaël Liogier : C’est très compliqué parce que la question de la déconnexion entre les élites et le peuple est une question piégée. La notion de peuple est extrêmement vague. Etre populiste, c’est justement parler du peuple dans son ensemble, un peuple qui pourrait se passer du système. Le populisme veut sortir de la logique droite/gauche au profit d’une zone extrêmement floue où se mêlent des idées aussi bien progressistes que réactionnaires. C’est ce que fait Marine Le Pen en alimentant le discours d’une classe politique déconnectée et incestueuse.

Mais y a-t-il vraiment déconnexion entre les Français et les élites ? Je pense que c’est un faux problème. Des gens qui souffrent, des pauvres, il y en a toujours eu. La différence aujourd’hui c’est que les gens se sentent humiliés, ils ont l’impression de ne plus compter et que la mondialisation leur est préjudiciable. Et c’est parce ce qu’ils ont peur, qu’ils ne se sentent pas rassurés, qu’ils se replient vers des partis qui ont des discours sévères sur l’immigration ou la protection des frontières.

JOL Press : Y a-t-il, en revanche, une déconnexion entre Paris et le reste de la France qui pourrait nourrir ce populisme ?

Raphaël Liogier : Cette déconnexion entre Paris et le reste de la France est une réalité qui joue énormément dans la montée des populismes. En France, toute l’information est produite à Paris, dans la perspective parisienne, et cela a des effets extrêmement négatifs. Les hommes politiques ne sont plus les seuls concernés, les journalistes, les décideurs économiques ou les intellectuels deviennent alors, aux yeux des Français, coupables des mêmes maux. Et comment pourrait-on ne pas comprendre ce sentiment quand on sait que la classe politique et les journalistes se croisent dans les mêmes restaurants ou dans les mêmes salles de sport ?

Et ce rapport incestueux est structurel en France. Contrairement à l’Allemagne ou au Royaume-Uni, en France, ce sont toujours les mêmes grands médias parisiens qui reçoivent toujours les mêmes personnalités politiques, et cet état de fait produit un sentiment de déconnexion entre cette petite caste et l’ensemble de la société et nourrit immanquablement les discours populistes. Face à ce mélange de genre, les gens préfèrent se réfugier dans l’illusion de la souveraineté nationale et rendent responsable l’Europe de notre impuissance.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Raphaël Liogier est sociologue et philosophe, professeur des universités à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Il a publié de nombreux ouvrages, dont Le Mythe de l’islamisation : essai sur une obsession collective (Le Seuil, 2012) et Souci de soi, conscience du monde : vers une religion globale ? (Armand Colin, 2012).

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