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Quel est le poids des partis régionalistes en Europe?

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En France, les partis régionalistes ont toujours été particulièrement mineurs (shutterstock.com)

JOL Press : Le sentiment régionaliste se développe de plus en plus en Europe et en France notamment. Comment expliquer ce phénomène ?

Pascal Delwit : Ce phénomène est dû à plusieurs éléments. On assiste à un affaissement symbolique et en partie matériel de l’Etat-nation. Si on regarde le processus à l’œuvre depuis une trentaine d’années, on constate des évolutions de pouvoirs vers le haut, dans le cadre européen vers l’union européenne par exemple, ou vers l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) ou encore vers l’OMC (Organisation mondiale du commerce), l’OTAN ou l’ONU. Mais ces transferts de l’Etat-nation peuvent aussi se faire vers le bas, vers des entités décentralisées, avec le développement d’entités fédérées. C’est un élément important qui fait qu’aujourd’hui la dimension stato-nationale est moins prégnante qu’auparavant.

L’identité nationale est, par ailleurs, questionnée, le sentiment d’appartenance supranationale est très peu présent. Et dans ce processus de l’Etat-nation du haut vers le bas, qu’une partie du « raccrochement » de l’identité se fait vers des structures et des espaces territoriaux plus petits et déjà existants le plus souvent mais réaffirmées dans la période contemporaine. Ce « raccrochement » peut amènera à des revendications indépendantistes : un référendum sur l’indépendance de l’Écosse est prévu, le débat est ouvert en Catalogne, au Pays basque, en Belgique, l’élection du 25 mai sera une élection sur le destin du fédéralisme belge, on voit aussi, en Italie, la Ligue du Nord mobiliser autour d’un approfondissement d’un fédéralisme…

On est dans un mouvement où le sentiment régionaliste devient exacerbé. Cette réaffirmation identitaire est aussi partiellement liée à la crise économique, financière et sociale qui génère des angoisses et on sait bien que, dans ces cas-là, le premier réflexe est de se raccrocher à des phénomènes identitaires parfois oubliés.

JOL Press : Quelle et l’importance des partis régionalistes en France, en particulier ?

Pascal Delwit : En France, les partis régionalistes ont toujours été particulièrement mineurs. Il y a eu des revendications tantôt savoyardes, tantôt bretonnes, corses et dans une optique un peu différente alsacienne, avec Alsace d’Abord ! le parti politique régionaliste et identitaire alsacien, proche du Front national. Vous avez de temps en temps la réaffirmation d’identités régionales animés par des groupes sinon des protopartis régionaux mais il peut y avoir aussi des formes d’identités qui ne sont pas spécialement portées par des groupes ou des partis.

Prenon l’exemple du débat concernant, ce qu’on appelle en France, le mille-feuille territorial, c’est-à-dire la coexistence des 36 000 communes, des départements, des régions, des intercommunalités, des métropoles : quand le gouvernement émet l’idée de rationaliser ce mille-feuille, très vite des voix se lèvent pour exiger de ne pas toucher à ce qui fonde l’identité des territoires.

JOL Press : Quelles sont les revendications de ces partis régionalistes ?

Pascal Delwit : Tout dépend de quel parti on parle, il faut être prudent, il n’y a pas une seule forme de parti régionaliste. Il existe des partis régionalistes indépendantistes, c’est le cas du Parti national écossais, de Convergence et Union (CiU) de Catalogne ou de la N-VA (Alliance néo-flamande) qui réclame l’indépendance de la Flandre. D’autres partis défendent des intérêts régionaux, comme aux Pays de Galles ou en Italie avec le Parti sarde d’action. Certains défendent aussi une langue ou une religion, je pense en Finlande au Parti populaire suédois, parti représentant les locuteurs suédois ou à la Südschleswigscher Wählerverband, parti qui représente la minorité danoise en Allemagne. En Belgique un parti des germanophones existe également.

JOL Press : S’ils ne sont pas forcément comparables, qu’ont-ils en commun ?

Pascal Delwit : Ils ont en commun d’être des partis transversaux, c’est-à-dire des partis qui sur les questions sociaux économiques peuvent avoir aussi bien des positions de gauche que des positions de droite et sur les questions de société ont des postures soit libérales ou autoritaires. Ces partis accueillent des militants et des cadres d’accord sur l’orientation régionaliste ou indépendantiste du parti mais qui ne partagent pas forcément les mêmes positions sur des sujets socio-économiques. Convergence et Union (CiU) de Catalogne est par exemple un peu plus marqué centre-droit alors que le Parti national écossais est plutôt marqué au centre-gauche.

JOL Press : En France, quel va être l’impact de ces partis à l’occasion des européennes ?

Pascal Delwit : Je dirai qu’a priori l’impact me paraît ténu malgré cette forme de résurgence observée de manière symbolique, par exemple, avec les Bonnets rouges bretons. Est-ce que pour autant les partis régionaux vont avoir un impact électoral marquant ? On peut en douter parce qu’en réalité, en France, ces partis n’ont jamais réussi de percée marquante. La seule exception notable étant la Corse : en 2009 François Alfonsi, membre du Parti de la nation corse a été élu au Parlement européen. Cependant en métropole, on a rarement vu tant au niveau local que national une forte progression des partis régionalistes.

La dizaine de partis régionalistes appartenant à l’Alliance libre européenne (alliance de partis politiques régionalistes et minoritaires en Europe) sont d’ailleurs très peu ou pas connus des Français. On n’est pas en France dans la même situation que l’Espagne où les partis régionalistes et indépendantistes sont plus connus et entendus.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Pascal Delwit est professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où il dirige le Centre d’étude de la vie politique. Il est l’auteur de plusieurs contributions et ouvrages sur la vie politique en Belgique et dans l’Union européenne.

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