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#stopthesultan: le Sultan de Brunei veut la charia, ils appellent au boycott

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Hassanal Bolkiah, le sultan du Brunei (Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : Pourquoi le sultan Hassanal Bolkiah décide-t-il maintenant d’instaurer la charia ?
 

Haoues Seniguer : En fait, cette décision remonte à octobre 2013. A cette époque, la monarchie, le sultan en tête, avait annoncé la mise en place graduelle de la charia, que l’on traduit abusivement par «loi islamique», avec une intention déclarée d’appliquer les châtiments corporels. Il n’y a pas de doute, le chef d’Etat du Brunei l’entend bien dans ce sens pourtant extrêmement étroit du point de vue historique et linguistique. Néanmoins, si cette traduction est très souvent le fait des islamistes, elle est hélas également reprise, consciemment ou non, par de nombreux journalistes ou spécialistes de l’islam. Sharî ‘a, dans son acception arabe originelle, signifie «la voie qui mène vers une forme de salut moral». Elle peut aussi avoir pour traduction «religion».

Brunei est un régime autoritaire qui ignore totalement les élections. Cette décision peut avoir une double signification : d’une part, combler un déficit de légitimité à l’interne et, d’autre part, satisfaire les franges les plus conservatrices du pays. Chacun sait que quand vous prétendez parler au nom de Dieu, la contestation populaire, sociale ou politique est alors beaucoup moins évidente.

JOL Press : Cette décision est-elle surprenante ?
 

Haoues Seniguer : Cette décision peut paraître surprenante, en effet, en ce qu’elle va clairement dans le sens d’un rigorisme moral judiciarisé (un ordre moral sanctionné par le droit positif), alors même que le sultan est connu pour un tropisme occidental manifeste et public, possédant des biens immobiliers luxueux (hôtel à Beverly Hills notamment) en Occident. Il a même invité personnellement, moyennant une somme faramineuse, la chanteuse américaine Mariah Carey afin qu’elle vienne se produire sur scène devant lui. C’était en janvier 2014.

Comme je l’indiquais plus tôt, cette décision, qui peut effectivement refléter a priori une crainte ou une réaction de type identitaire vis-à-vis des influences étrangères, vise in fine à anticiper ou à désamorcer une éventuelle fragilisation progressive du pouvoir central. N’oublions pas que le monarque actuel règne en maître absolu depuis 1984 !

JOL Press : Brunei sera le seul Etat d’Asie du sud-est à appliquer la charia. Selon certains spécialistes, les musulmans de la région aspirent à refermer pour de bon le chapitre colonial de leur histoire par un retour aux fondamentaux de l’islam. Qu’en pensez-vous ?
 

Haoues Seniguer : C’est une hypothèse. En effet, de nombreux chercheurs, à l’instar du politiste François Burgat (qui fut d’ailleurs l’un des premiers chercheurs français à avoir effectué un vaste travail de décryptage de la dynamique islamiste dans le monde arabe), estiment que la référence religieuse peut relever du réflexe identitaire des populations majoritairement musulmanes. Une telle réaction viserait, au fond, à marquer une rupture symbolique avec l’ordre occidental jugé hégémonique à l’échelle du monde. Cependant, l’indépendance du Brunei a tout juste 30 ans. Le facteur colonial, par conséquent, ne saurait être une variable explicative suffisante.

Je crois plutôt que le contexte de mondialisation, d’interpénétration avancée des cultures et la montée en puissance des forces sociales contestatrices des ordres politiques dominants, notamment à l’interne, sont les ingrédients qui amènent de plus en plus de titulaires du pouvoir réel à faire de la surenchère populiste et/ou religieuse, et ce, afin d’éviter de polariser le mécontentement sur leurs personnes et, partant, sur leur pouvoir. Du reste, tout pouvoir, quelle qu’en soit la longévité, finit immanquablement par s’éroder s’il n’est pas relégitimé par des mécanismes participatifs politiques et/ou économiques. Les révoltes arabes sont passées par là malgré l’enlisement syrien. En tout état de cause, le passé colonial apparaît aujourd’hui plus que jamais comme un prétexte.

JOL Press : Peut-on s’attendre à ce que la décision du sultan fasse «tâche d’huile», notamment en Indonésie, pays musulman le plus peuplé du monde ?
 

Haoues Seniguer : Il est difficile de répondre dans la mesure où chaque pays a ses spécificités. Cette décision peut toutefois avoir un effet d’entraînement, d’encouragement du fait de prêcheurs ou théologiens sunnites islamistes disposant d’une audience importante auprès des musulmans du monde via le câble ou Internet. Ces derniers, dans une majorité de cas, voient d’un très bon œil une telle initiative. A titre d’exemple, le cheikh saoudien Muhammad al-Arifi, qui a une émission sur la chaîne du câble Iqra (sur laquelle se produit aussi le prédicateur suisse Tariq Ramadan), s’est félicité de la décision du sultan du Brunei voyant dans l’application de la charia «une annonce de justice et de sécurité», enjoignant, dans la foulée, les chefs d’Etat musulmans à lui emboîter le pas !

JOL Press : Concrètement, que va changer la nouvelle législation ?
 

Haoues Seniguer : Si la charia était systématisée à tous les niveaux du droit – ce qui sera sans doute très difficile dans les faits compte tenu de la complexité technique que cela impliquerait en termes de codification juridique, ne serait-ce que parce que l’islam n’a ni tout prévu ni réponse à tout – cela pourrait surtout avoir des conséquences en matière de détermination du type de peines encourues par ceux qui auraient enfreint «la loi de Dieu». N’oublions pas aussi le travail des ONG de défense des droits de l’homme et les pressions des diplomaties étrangères sur le pays. Si le sultanat du Brunei met en garde, et contre la vente d’alcool et contre le prosélytisme non musulman, on peut donc à bon droit penser que la charia est susceptible de s’appliquer par exemple prioritairement à ces domaines.

JOL Press : La charia s’appliquera-t-elle aux 400 000 sujets du Brunei (13% d’entre eux sont bouddhistes et 10% sont chrétiens) ?
 

Haoues Seniguer : On a des informations contradictoires. Selon certains quotidiens arabophones, les châtiments ou peines issus de la charia s’appliqueraient aux musulmans comme aux non-musulmans. Pourtant, la communication officielle du Brunei, par la voix du sultan, viserait au contraire, du moins implicitement, à rassurer les investisseurs étrangers, en précisant que la politique intérieure n’aurait aucune incidence sur les investisseurs et investissements dans le pays. Est-ce un double jeu ou une double contrainte ? Attendons de voir.

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