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Succession de Barroso: un bras de fer Conseil-Parlement nuirait à l’Europe

Mardi 27 mai 2014 au soir. Les 28 – chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union – tenaient « conclave » à Bruxelles. Leur mission, désigner – ou, plutôt, entamer le processus de désignation du prochain président de la Commission européenne.

A l’issue de cette première session, pas de fumée blanche mais plutôt une fumée grise, et les prémices d’un profond brouillard institutionnel dont – à n’en pas douter – les eurosceptiques et autres europhobes, sortis renforcés par le scrutin de dimanche dernier, sauront encore profiter…

Le traité de Lisbonne entretient le flou

C’est le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, qui, pour la première fois, détermine les conditions de la nomination de la prochaine Commission et de son président appelé à succéder à José Manuel Barroso. Or – comme c’est surprenant -, ces dispositions se révèlent, à l’usage, plus que floues.

Pour faire court, c’est toujours le Conseil européen, pouvoir exécutif de l’Union, qui propose la nomination du président de la Commission mais il est indiqué qu’il doit prendre en compte le résultat des élections européennes et donc l’équilibre des forces au sein du Parlement. Et ensuite, le Parlement doit accorder son investiture au président désigné…

On pouvait imaginer qu’une telle formulation autoriserait deux lectures profondément divergentes du processus de désignation et, sans surprise, ce sont bien deux lectures qui, aujourd’hui, s’opposent.

Ce désordre pourrait bien jouer un mauvais tour à l’Union en justifiant les diatribes de tous ceux qui dénoncent le déficit démocratique de l’Union.

Des candidats désignés, de prétendues campagnes continentales, pour rien ?

A l’approche des élections européennes, les principales familles politiques européennes ont désigné leurs candidats à la présidence de la commission. La campagne lancée, ceux-ci ont multiplié les déplacements à travers l’Union et les 5 – puisqu’ils étaient 5 – se sont même affrontés lors d’un débat à Bruxelles, un débat retransmis en Euro-vision…

La promesse était formelle et on pouvait même la lire sur les affiches de campagne… Voter UMP, c’était voter pour le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker ; voter PS, c’était préférer l’Allemand Martin Schulz ; Modem pour le Belge Guy Verhofstadt ; Verts pour l’Allemande Ska Keller et « notre » José Bové ; et enfin une autre Europe à la gauche de la gauche avec le Grec Alexis Tsipras.

Promis, juré… Le candidat du parti arrivé en tête présiderait la Commission européenne ou, en tout cas, aurait le privilège de tenter en premier de rassembler sur son nom une majorité au Parlement. Dans un tel cadre, il reviendrait donc à Jean-Claude Juncker au nom du Parti populaire européen (PPE) de prendre la main. Ce n’est pas ce qu’ont décidé les 28 ce mardi…

Les anti-Juncker font front…

Et, dans la soirée, les 28 ont décidé de confier au président du Conseil européen, Herman von Rompuy, d’entamer les négociations non pas en vue d’occuper lui-même la présidence mais afin d’identifier le candidat le plus à même de recueillir une majorité et d’exercer le poste dans les circonstances difficiles que traverse l’Europe.

Prenant pour prétexte la poussée eurosceptique, un certain nombre de membres du Conseil européen – n’ont pas hésité à exprimer leur opposition à Jean-Claude Juncker.

Le Britannique David Cameron, le Hongrois Viktor Orban lui reprochent sans doute d’avoir été un des principaux artisans du traité de Maastricht instituant l’euro en 1991-1992. Les « jeunes pousses » hollandaise, Mark Rutte, danoise, Helle Thorning- Schmidt, et suédoise, Fredrik Reinfeldt, jugent sans doute dépassé le vétéran luxembourgeois, 19 ans à la tête du Grand Duché…  Quant à Angela Merkel, elle refuse que le Conseil et donc elle-même ne perde l’initiative de la nomination du président de la Commission au profit du Parlement – et tant pis pour la démocratie…

Système parlementaire ou semi-présidentiel…

En termes de droit constitutionnel, c’est passionnant.

Le pouvoir législatif, les parlementaires européens défendent un modèle parlementaire, tandis que, de fait, l’exécutif, les membres du Conseil européen collectivement, semble tenir à conserver leur prédominance sur le gouvernement et son chef, la Commission et son président en « eurolangue »… comme autant de présidents de la République française libres de désigner qui bon leur semble à Matignon pourvu qu’il ou elle rassemble une majorité – quelle qu’elle soit au Parlement.

Etonnant de la part d’Angela Merkel, David Cameron et nombre de leurs collègues, purs produits de systèmes institutionnels strictement parlementaires où le chef de parti fait campagne et est nommé d’office à la tête du gouvernement, que d’être prêt à porter un bien mauvais coup à la démocratie européenne – et cela, d’ailleurs, après avoir, dans le cas d’Angela, soutenu la candidature de Jean-Claude Juncker à l’investiture du PPE. « RealPolitik » sans doute.

 

Quant à François Hollande, il persiste à soutenir le social-démocrate Martin Schulz… Le temps de digérer les résultats du 25-mai, hein…

Au-delà du partage des dépouilles, c’est l’Europe et la démocratie en Europe qui risquent, faute de solution transparente, de souffrir. Les élections de dimanche ont pourtant démontré qu’aucune des deux n’en avait particulièrement besoin… 

 

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