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TAFTA: le jour où les investisseurs privés pourront s’affranchir des lois

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L’accord pourrait aussi introduire un mécanisme d’arbitrage privé (shutterstock.com)

Avez-vous entendu parler du projet d’accord de libre-échange prévu entre l’Union européenne et les États-Unis : le TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) ? Pas sûr, car les négociations, qui doivent aboutir d’ici fin 2014 à un vaste marché commun transatlantique, sont actuellement menées dans la plus grande discrétion…

Extraits de Europe – États-Unis : les enjeux de l’accord de libre-échange, de Danièle Favari (Yves Michel – avril 2014)

L’accord pourrait aussi introduire un mécanisme d’arbitrage privé (sorte de clause compromissoire) entre les investisseurs et les États : Règlement des Différends entre Investisseurs et États (RDIE ou, en anglais, Investor-State Dispute Settlement : ISDS)[1] qui se substituerait aux juridictions existantes, permettant ainsi aux investisseurs privés de s’affranchir de toutes les lois et, de contourner les décisions qui leur seraient gênantes et de sanctifier la privatisation du pouvoir législatif.

L’inclusion de ce mécanisme de règlement des différends reste une question très controversée en ce qu’il permettra l’autonomisation[2] des investisseurs étrangers d’intenter une action devant un tribunal de tout État membre ou de la Cour européenne de justice, afin de réclamer une compensation financière si ils estiment que leur potentiel d’investissement (et les bénéfices connexes) sont bloqués par des modifications de la réglementation ou de politiques qui ont lieu au niveau national, en faisant valoir une violation du Traité. Une fois ces principes coulés dans le marbre juridique – d’autant que leurs jugements sans appel feront jurisprudence – ni les État, ni les Parlements ne pourraient s’y opposer, sauf à être renvoyés devant des tribunaux internationaux qui seraient en mesure de leur faire payer leurs incartades.

« Il est particulièrement utile lorsque les accords bilatéraux sont conclus avec des pays ne disposant pas d’un solide système judiciaire apte à protéger les intérêts des investisseurs face aux abus des gouvernements locaux car il est constitué par des procédures réservées à l’unique initiative de la personne privée contre la personne publique. » (Source : Contrelacour).

[image:2,s]Dans un document de la Commission européenne, on apprend que cette protection vise à accorder aux investisseurs étrangers quatre garanties clés suivantes dans leurs rapports avec l’État d’accueil :

• la protection contre la discrimination (« traitement de la nation la plus favorisée » et « traitement national ») ;

• la protection contre l’expropriation à des fins autres que des objectifs de politiques publiques et sans compensation appropriée ;

• la protection contre un traitement injuste et inéquitable – par exemple, ne respectant pas les principes fondamentaux d’équité ;

• la protection de la possibilité de transfert de capitaux.

Vital Moreira, président de la Commission du Commerce international du Parlement européen, ne voit pas d’objection de principe à l’ISDS car le traité constituerait, selon lui, une base légale permettant aux investisseurs européens d’intenter une action contre l’Etat américain et susceptible de leur fournir des protections supplémentaires disponibles uniquement au travers de ce mécanisme. Cependant, l’existence même de l’ISDS est une véritable « épée de Damoclès » pour les gouvernements[3] qui porte atteinte au principe de l’indépendance de la justice étatique, et il est difficile de documenter tous les cas où des ministères auraient abandonné des réformes au seul motif qu’ils risquaient une amende extrêmement lourde. Bien sûr, cela contrevient totalement aux principes les plus essentiels de la démocratie moderne. Il est donc absolument essentiel de frapper fort dans la dénonciation de l’ISDS, de le dénoncer comme étant une menace majeure devant – à tout prix – être rejetée des traités bilatéraux d’investissement et de demander impérativement qu’y soit substitué le seul arbitrage d’État à État. Enfin, aux États-Unis, les tribunaux d’arbitrage sont des organismes – indépendants des tribunaux des États – organisés au sein du CIRDI (Centre International de Règlement des Différends relatifs aux Investissements).

L’indépendance de ces « panels d’arbitres » qui décident du sort des différends est très largement contestée, et leurs décisions se sont longtemps faites en l’absence de toute transparence. (Florent Pirot, College of Europe (Bruges) and Sciences Po Lille (2012) graduate).

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Danièle Favari est juriste de l’environnement et du droit européen de l’environnement. Elle est auteur de Les vrais dangers du gaz de schiste (éditions Sang de la Terre) et de nombreux articles dans les pure-players comme Le Huffington Post, Slate.fr, Terraeco. Membre expert de la « fabrique écologique », elle se consacre entièrement à la défense de l’environnement et des libertés individuelles.

[1] Ce fut déjà le cas pour l’AMI (Accord multilatéral sur les investissements) négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les vingt-neuf États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui contenait déjà la clause ISDS, qui a suscité les premières manifestations internationales contre la mondialisation et qui a finalement été abandonné par Lionel Jospin sous la pression des manifestations. (Source : « Le nouveau manifeste du mondial », Le Monde diplomatique, février 1998).

[2] Processus permettant à une organisation de se doter des moyens nécessaires à son autonomie.

[3] Les États-Unis sont le premier investisseur étranger en France (86 milliards d’euros et 450 000 emplois créés) et 14 400 compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de 50 800 filiales.

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