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Tombouctou: le retour à la paix est encore loin

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Mosquée de Tombouctou. (Crédit photo: Teo Tarras / Shutterstock.com)

JOL Press : Plus de quinze mois après la libération de Tombouctou, les traces de l’occupation jihadiste sont-elles toujours visibles dans la ville ?
 

André Bourgeot : Les traces sont encore visibles dans le patrimoine culturel de la ville, partiellement détruit. Il faut désormais une intervention pour la restauration des mausolées, pour la réparation des portes des mosquées, etc.

Mais plus que les traces de cette occupation, Tombouctou doit aujourd’hui faire face à un autre problème : celui de la présence ponctuelle de groupes narco-jihadistes armés aux environ de la ville. Tombouctou a encore fait l’objet d’attaques d’obus il y a quelques semaines.

Si l’on élargit ce problème-là à l’ensemble du septentrion malien [le Nord du Mali, ndlr], on se rend bien compte que les groupes jihadistes, défaits militairement à l’issue de l’intervention militaire de l’opération Serval en janvier 2013, réapparaissent sous la forme de petits groupes qui usent de nouvelles pratiques de harcèlement (attaques d’obus par exemple).

Ils exercent également des pressions sur certains éléments de la population de Tombouctou, mais aussi de Gao ou de Kidal, qu’ils considèrent comme des collaborateurs de l’armée malienne, de l’opération Serval ou de la Minusma [Mission des Nations unies au Mali, ndlr] et qui, selon eux, dénoncent des éléments salafistes. Les conditions optimales de sécurité, à la fois militaires, politiques et psychologiques, sont donc aujourd’hui loin d’être réunies dans cette région du Mali.

JOL Press : Quelle était concrètement la vie des Maliens à Tombouctou à ce moment-là ?
 

André Bourgeot : L’imposition de la charia [la loi islamique, ndlr], telle que conçue par ces groupes jihadistes, a engendré des pratiques qui ne pouvaient que générer la terreur. Une partie de la population a ainsi été soumise à des pratiques barbares : imposition du voile, mains coupées, flagellations publiques, interdiction de regarder la télévision, de fumer ou de jouer au football….

 

D’autres éléments de la population ont néanmoins pu percevoir ces groupes jihadistes comme une forme de retour à l’ordre social, compte tenu du fait que l’ensemble de la région, avant la prise de contrôle par les jihadistes, était en partie en déshérence de l’autorité de l’État malien. C’était une zone de non-droit où beaucoup d’abus étaient permis, voire légalisés. Les jihadistes sont ainsi arrivés porteurs d’un ordre moral appliqué par des méthodes barbares qui ne caractérisent pas l’islam.

JOL Press : Existait-il des groupes de résistance maliens contre ces groupes terroristes ?
 

André Bourgeot : À l’époque où les groupes narco-jihadistes occupaient le septentrion malien, il y a eu des formes d’opposition à ces salafistes, même si l’on ne peut pas dire qu’il y avait une importance généralisée de ces groupes. Ce que l’on peut néanmoins souligner, c’est que ce type de résistance a bien existé.

JOL Press : Quelles autres villes du Nord du Mali sont concernées par la présence de groupes jihadistes ?
 

André Bourgeot : Gao est un cas assez particulier parce que c’était le siège du pouvoir du Mujao, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest. Le Mujao était déjà traversé par l’islam politique, et plus particulièrement par la wahabia [conception rigoriste de l’islam, ndlr] qui était assez influente à Gao et dans les petites villes environnantes, sur le fleuve Niger.

Une forme de réceptacle du jihadisme était donc présente dans la région avant la prise de Tombouctou. Cela a permis l’influence du Mujao, influence qui s’est aussi fait sentir lorsque le Mujao a bouté de Gao le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad] dirigée par les Touaregs. Cela a renforcé les positions du Mujao dans la région.

JOL Press : Malgré l’intervention militaire française Serval, des petits groupes jihadistes se sont réactivés dans le nord du Mali. Faut-il craindre une résurgence d’actes terroristes ?
 

André Bourgeot : L’utilisation récente, sur Tombouctou et Gao, d’obus de fabrication artisanale, est la preuve que la menace n’a pas disparu. La notion de guerre asymétrique ne me paraît donc pas avoir de validité opératoire. Si dans un premier temps la guerre s’est transformée en guérilla, il s’agit maintenant plus d’un harcèlement que d’une guérilla. Or par définition, le harcèlement intervient à des moments imprévisibles. Quand les groupes jihadistes décident d’intervenir, ils interviennent.

Cela veut également dire que l’ensemble de cette zone n’est pas encore sécurisé. Non seulement il y a harcèlement, mais il y a encore des attentats de type kamikaze, autrefois exercés par le Mujao, ainsi que des affrontements inter-communautaires, particulièrement entre Peuls et Touaregs. Reste le problème de fond : le fait que la ville de Kidal ne soit toujours pas administrée par les autorités maliennes, mais par les Touaregs du MNLA. Cela crée un problème énorme aux yeux des populations maliennes.

JOL Press : Les forces françaises sont donc loin de quitter la région ?
 

André Bourgeot : Quand il y a eu l’intervention de l’opération Serval, on m’avait posé la question, et j’avais répondu que cette opération était porteuse d’enlisement. Maintenant, la réorganisation de la présence militaire, non seulement au Mali mais dans l’ensemble de l’espace saharo-sahélien composé de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, montre bien qu’ils sont encore là pour un moment. Cette présence militaire est appelée à rester : on est passé de 1000 militaires au Mali à 3000 militaires français sur l’ensemble de cet espace, parallèlement à la présence des militaires de la Minusma.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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André Bourgeot est anthropologue, directeur émérite au CNRS, spécialiste du Mali et de la zone saharo-sahélienne. Il a participé à la rédaction de plusieurs ouvrages sur la question, dont Le Mali entre doutes et espoirs. Réflexions sur la Nation à l’épreuve de la crise du Nord, Éditions Tombouctou, juin 2013.

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