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Traité transatlantique: et si les Européens avaient plus à perdre qu’à gagner?

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Les partis politiques profitent de la campagne des européennes pour mobiliser contre le grand marché transatlantique en cours de négociation (shutterstock.com)

Préparé sous diverses formes depuis les années 1990, le traité de libre-échange, actuellement discuté entre l’Union européenne et les Etats-Unis, est négocié en toute confidentialité. Et pourtant il parvient à faire beaucoup parler de lui. Pourquoi ce mystère ? Et pour quelles raisons François Hollande souhaite-t-il accélérer les négociations, pour aboutir à un accord avant la fin du mandat de l’actuelle Commission européenne, en octobre 2014 ?

JOL Press : Que sait-on aujourd’hui de ce traité ?
 

Danièle Favari : De ce traité, nous ne connaissons que le mandat de négociation donné à la Commission européenne, le 14 juin 2013, par les ministres européens du Commerce et le Parlement européen. Nous n’avons donc accès qu’aux 46 articles de ce mandat qui a trait au commerce des marchandises et des services et l’établissement et la protection des investissements, ainsi qu’au libre accès aux marchés publics et au libre mouvement des capitaux ; c’est ce qu’on appelle les « obstacles inutiles au commerce » (OTC) ou obstacles non tarifaires.

JOL Press : Pour quelles raisons les négociations de ce traité sont-elles tenues secrètes ?
 

Danièle Favari : Il faut se souvenir que l’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) avait été rejeté par le Parlement européen en 2012. Le grand public n’a accès à aucune information parce que les négociateurs ont peur de susciter des craintes et des oppositions, ce qui commence déjà à être le cas. Alors que les députés européens eux-mêmes n’ont pas accès à ces négociations, certains y ont réussi en accédant à quelques informations autorisées dans les ambassades américaines de leurs pays respectifs. Mais la plupart de ces informations n’ont pu sortir des ambassades afin d’être rendues publiques, eu égard à un droit de veto des Etats-Unis.

[image:2,s]Si nous avons aujourd’hui accès au mandat de négociation donné à la Commission européenne, c’est grâce à certaines fuites alors que les lobbies sont, eux, invités à la table des négociations. Ces lobbies étaient aussi présents à la dernière conférence de Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce et négociateur en chef de ce traité, le 10 avril dernier. Il s’agit d’un parti pris de la part des négociateurs de rester « entre soi », mais c’est anti-démocratique au possible.

Rappelons aussi qu’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada a été signé le 18 octobre 2013 et que nous ne connaissons aucune des composantes.

JOL Press : On dit que les parlements nationaux seront consultés avant la ratification de ce traité. Qu’en est-il ?

Danièle Favari : Les parlements nationaux ne seront certainement pas consultés avant, mais peut-être après la ratification du traité. S’il concerne seulement la politique commerciale à proprement parler, c’est-à-dire la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services, il  ne sera ratifié qu’au niveau du Parlement européen.

En revanche, s’il existe des questions d’ordre normatif ou législatif – ce qui est le cas du mécanisme d’arbitrage de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE) – il devrait être soumis au parlements nationaux. Mais après les déclarations de la secrétaire d’État française au Commerce extérieur, Fleur Pellerin, qui a expliqué que s’opposer très fermement à la présence de ce type de mécanisme d’arbitrage « créerait un précédent qui nous mettrait dans une situation délicate dans de futures négociations », on peut supposer que le Parlement français ne fera pas obstacle à cette ratification. Tout le processus démocratique de ce traité devrait donc être totalement occulté d’une manière ou d’une autre.

Aujourd’hui même, dans le cadre de l’affaire Alstom, le gouvernement a émis un décret de protectionnisme étendant notamment à l’énergie et aux transports le mécanisme de protection des entreprises stratégiques contre les appétits étrangers. Comment peut-il à la fois émettre ce genre de décret et être favorable au traité de libre-échange qui se négocie actuellement, ce qui est le cas du parti au gouvernement ? Ce n’est pas logique et d’ailleurs contraire à la clause dite du « statu quo ».

JOL Press : Avez-vous des exemples concrets des conséquences que pourrait avoir un tel traité s’il était ratifié ?
 

Danièle Favari : Les traités se situent au-dessus des directives et des normes européennes mais aussi des lois nationales. Aussi, toute multinationale qui s’estimera lésée par une disposition du droit national ou réglementaire européen pourra porter plainte contre un Etat devant un tribunal arbitral avec, à la clé, un risque élevé d’indemnisation.

Déjà, le 16 avril dernier, a été voté un rapport par le Parlement européen qui instaure les modalités de répartition d’une indemnisation possible – et probable – entre l’Union européenne et un Etat membre, dans l’hypothèse où il sera reconnu financièrement responsable. Les indemnisations exigées seront énormes et pourront se chiffrer en milliards d’euros, comme c’est le cas du différend entre Vattenfall et le gouvernement allemand (3,7 milliards d’euros).

JOL Press : Quels bénéfices les Européens peuvent-ils tirer de ce traité ?

Danièle Favari : C’est aussi une question que je me pose. A l’heure actuelle les investissements entre les deux parties représentent 57% des investissements mondiaux. Je pense plutôt que l’objectif des Etats-Unis est d’affaiblir l’Union européenne que de lui permettre plus de croissance qui est chiffrée selon l’étude du CEPR (Centre for Economic Policy Research) à 0,5% du PIB. Les Etats-Unis négocient, en effet, un traité de partenariat avec l’Asie et le Pacifique (TPP), dont la Chine est exclue en raison de son expansion. Mais, au niveau des normes européennes, qu’elles soient sociales, environnementales, sanitaires ou phytosanitaires, nous allons vers le « moins disant ».

JOL Press : Comment se positionne François Hollande sur la question ?

Danièle Favari : François Hollande a signé, lorsqu’il est allé aux Etats-Unis, le 26 février 2014,  une tribune commune avec Barack Obama et publiée dans le Monde dans laquelle il expliquait qu’il souhaitait la ratification de ce traité transatlantique avant octobre 2014, c’est-à-dire avant la fin du mandat de la Commission européenne et de son président José Manuel Barroso. Selon le chef de l’Etat, « plus on ira vite, plus les peurs se dissiperont et moins il y aura de mobilisation ». Ne nous faisons aucune illusion, le Parti socialiste européen (PSE) de Martin Schulz, le Parti populaire européen (PPE) de Jean-Claude Juncker et même le libéral Guy Verhofstadt sont favorables à cet accord de libre-échange.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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