Site icon La Revue Internationale

Vu de Bruxelles, la France peine à se réformer

[image:1,l]

Jusqu’ici, la Commission tablait sur un déficit de 3,9% en 2015 (shutterstock.com)

Selon la Commission européenne, la France n’atteindra pas ses objectifs de croissance et de déficit en 2015. Alors que le gouvernement table sur une croissance de 1,7% en 2015 (1% en 2014, 2,25% en 2016-2017), Bruxelles l’estime de son côté à 1,5% seulement. Un niveau légèrement inférieur à celui de la croissance de la zone euro, que la Commission situe à 1,7% dans ses prévisions publiées lundi.

JOL Press : Comment est vu François Hollande à Bruxelles ?

Jean Quatremer : Sur la scène européenne, François Hollande a beaucoup déçu car il n’a pas tenu les engagements qu’il avait pris pendant la campagne présidentielle et il ne s’est pas battu pour que ces engagements soient tenus. On attend toujours ses propositions concrètes pour une démocratisation de la zone euro qu’il avait promise, on attend toujours ses propositions concrètes pour la création d’un trésor européen et d’obligations européennes, on ne l’a pas vu se battre pour obtenir une augmentation du budget européen, etc.

La vision de François Hollande pour l’avenir de l’Europe, personne ne la voit. Dans les conseils européens, il ne dit quasiment rien. Il incarne une rupture radicale avec l’activisme dont faisait montre Nicolas Sarkozy. Non seulement il ne s’est pas battu pour défendre les idées présentes dans son programme, mais on ne voit absolument pas quelle est sa pensée européenne. On s’attendait à ce qu’il cherche des alliances au sud de l’Union européenne pour essayer de contrebalancer l’influence d’Angela Merkel, mais il ne l’a pas fait. On s’attendait à ce qu’il noue des contacts plus fort avec le SPD, il ne l’a pas fait.

JOL Press : Son tournant social-démocrate a-t-il été salué à Bruxelles ?

Jean Quatremer : On lui fait crédit, à Bruxelles, de sa volonté de réformer à la fois l’économie française et d’assainir les comptes publics. De ce point de vue, François Hollande va plus loin que n’est allé la droite. Quand on voit l’état du déficit et de la dette laissés par la droite, on voit bien que François Hollande a pris de bonnes mesures, on lui fait donc crédit de vouloir réformer la France, même si tout le monde, à Bruxelles, a parfaitement conscience de la difficulté de réformer la France.

Bruxelles a des inquiétudes quant au recul des gouvernements français face à la rue. Bruxelles craint que François Hollande n’aille pas au bout de ses réformes si de grandes manifestations s’organisent en France. Ici, personne n’a oublié ce qui s’est passé en 1995 avec le plan Juppé et la capitulation de Jacques Chirac.

Bruxelles mais aussi Berlin considèrent aujourd’hui que la France est le malade de l’Europe : si on prend l’ensemble des pays européens, la France est le seul pays qui n’a pas un excédent budgétaire primaire (situation des comptes publics avant la prise en compte des remboursements des intérêts de la dette, ndlr). Même la Grèce a réussi à dégager en 2013 un excédent primaire. C’est problématique.

JOL Press : La France a-t-elle une politique suffisamment ambitieuse selon Bruxelles ?

Jean Quatremer : La France manque d’ambition depuis des années. Le pays a l’impression de subir une cure d’austérité alors qu’il n’a même pas vécu une rigueur à la Belge. Cependant, il est clair que si les engagements pris par François Hollande de faire 50 milliards d’économies sont tenus, ce sera une première dans l’histoire française.

JOL Press : Les Français ont de plus en plus l’impression que les lois françaises sont dictées par des directives européennes. Bruxelles souhaite-t-il, en effet, interagir dans tous les domaines de la vie politique nationale ?

Jean Quatremer : Dans le procès qui est fait par les eurosceptiques à l’Union européennes, il va falloir un jour ou l’autre trancher : on ne peut pas à la fois reprocher à l’Union européenne d’être hyper libérale et, en même temps, d’être hyper réglementaire. C’est l’un ou l’autre. Par ailleurs la proportion de lois nationales, qui comportent des références à des directives ou des règlements européens, est comprise entre 10 et 25% au maximum dans tous les pays de l’Union européenne. Et réfléchir en termes de proportion n’est pas toujours très judicieux parce qu’entre une loi nationale ouvrant le mariage aux personnes homosexuelles et un règlement européen harmonisant la taille des plaques d’immatriculation des tracteurs, on voit bien que ce n’est pas le même degré d’importance.

Il est évident que les domaines dans lesquels l’Union européenne a une compétence exclusive sont limités. Les compétences exclusives de l’Union sont l’Union douanière ; l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ; la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro ; la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche ; la politique commerciale commune ; et la conclusion d’un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l’Union européenne. Ces compétences exclusives ne recouvrent pas l’ensemble des compétences nationales.

Il existe aussi des compétences partagées comme la politique agricole ou l’environnement. Dans ces cas-là ce sont les Etats qui décident de manière intergouvernementale ce qui va être traité de façon communautaire. Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen, avait un jour noté que 90% des politiques restaient nationales et 98% des budgets restaient nationaux. L’idée de la perte de la souveraineté répandue par certains politiciens et non vérifiée par des médias donne souvent l’impression au peuple français que l’Europe est partout et s’immisce dans le moindre repli de la souveraineté nationale, ce qui est loin d’être le cas. Il y avait une hystérisation du débat en Grande-Bretagne, Bruxelles regarde aujourd’hui d’un œil accablé cette même hystérisation gagner la France.

JOL Press : Dans quels domaines Bruxelles aimerait que la France avance davantage ?

Jean Quatremer : La Commission et les partenaires de la France souhaitent que la France redevienne une puissance économique qui compte, or vous ne pouvez pas être une puissance économique qui compte avec des finances publiques en capilotade et une croissance animique. Si la France coule, elle entrainera tout le monde par le fond. Les pays européens ont donc tout intérêt à ce que la France réussisse ses réformes.

On voit bien qu’en France les jeunes ont un problème de sous-qualification et que certains secteurs de l’économie sont sur-protégés, mais on constate aussi que dans ces domaines, les réformes sont extrêmement difficiles à mener. Un jour où l’autre, les Français vont devoir comprendre que tout n’est pas finançable. Le dernier budget en équilibre en France remonte à 1974. Depuis 1975, tous les budgets ont été en déficit. Tant que cette situation ne changera pas, la France continuera à s’affaiblir.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Journaliste à Libération et rédacteur du blog « Coulisses de Bruxelles ».

Quitter la version mobile