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Affaire Cahuzac: François Hollande était-il au courant?

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L’auteur lance un cri d’alerte : veut-on réellement éradiquer la corruption en France ? A la lumière des débats de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac, il y a tout lieu d’être pessimiste. Bien des personnalités auditionnées, ministres PS compris, continuent de louvoyer autour des esquifs en maniant langue de bois, non-dits et omissions.

Extrait de La République des imposteurs, de Gilles Gaetner (Éditions de l’Archipel – 2 juillet 2014).

 

Le 16 avril, Jérôme Cahuzac, muet depuis quatorze jours, dont on ne sait où il se trouve – sans doute en Corse chez des amis –, choisit BFM-TV pour se confesser face au journaliste Jean-François Achilli, à 18 heures. Improbable confession, qui ressemble à s’y méprendre à celle effectuée il y a plusieurs mois sur TF1 par Dominique Strauss-Kahn. « Faute morale », « folle bêtise », « part d’ombre », « légèreté », tels sont les mots qui reviennent sans cesse dans la bouche de Cahuzac. Les mêmes que ceux utilisés par DSK. Il est vrai que Cahuzac a été « coaché » par Anne Hommel, ancienne de l’agence Euro RSCG qui avait déjà aidé DSK. L’exercice convainc peu les médias, encore moins la classe politique. Pour beaucoup, il y a du Tartuffe dans cet homme-là. La seule nouvelle qu’il annonce est son retrait, désormais, de la vie publique. De fait, deux jours plus tard, il envoie sa lettre de démission de son mandat de député au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.

Cette interview, même si elle constitue un joli coup pour BFM-TV, s’apparente ni plus ni moins qu’à un flop. À aucun moment, au cours de ces quarante minutes, l’ancien ministre ne livrera la moindre confidence ou ne lèvera un coin du voile sur l’ouverture de son fameux compte à l’UBS de Genève. En somme, un coup de com’ pour rien, qui est loin d’avoir convaincu l’opinion. Les Français se disent : « Il se fout de nous, ce Cahuzac. » Et les interrogations subsistent : comment est-il possible que, pendant plus de vingt ans, il ait caché son compte en Suisse ?

[image:2,s]Pourquoi, en 2008, alors que l’inspecteur Garnier alerte sa hiérarchie sur la très probable existence de ce compte, rien ne se passe ? Nos services de renseignements, si efficaces en matière fiscale, n’ont-ils vraiment rien vu ? Cahuzac aurait-il pu être protégé ? Est-il possible que, depuis les révélations de Mediapart le 4 décembre 2012, ni l’Élysée, ni Matignon, ni Bercy, ni les services de police, jusqu’à l’ouverture de l’enquête préliminaire le 8 janvier 2013, n’aient été au courant de rien ?

Aussi est-ce sans surprise que, le 10 avril 2013, s’élèvent de l’Assemblée nationale quelques voix souhaitant mettre sur pied une commission d’enquête parlementaire pour tenter d’y voir un peu plus clair dans la gestion de l’affaire Cahuzac par les pouvoirs publics.

Avec cette question-clé en arrière-plan : y a-t-il eu des dysfonctionnements ? C’est Jean-Louis Borloo, député UDI du Nord, personnage pittoresque et rafraîchissant dans la vie politique, jamais à court d’idées, qui en fait officiellement la proposition au Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Lequel fait savoir qu’il n’y est pas opposé. Habilement, l’ancien ministre de l’Écologie de Nicolas Sarkozy propose que le rapporteur de cette commission soit Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale. Lequel refuse. Borloo se retourne alors du côté de deux collègues de l’UDI, Charles de Courson (Marne) et Philippe Vigier (Loir-et-Cher). Le 23 avril, la commission d’enquête parlementaire est constituée. Composée de trente membres, elle sera présidée par le placide mais caustique Charles de Courson, un as en matière budgétaire, ferrailleur infatigable depuis des années contre Bernard Tapie. Quant au rapporteur, rôle clé de la commission, ce sera Alain Claeys, député-maire de Poitiers, ancien trésorier du Parti socialiste. Parmi les membres de cette instance figurent, pour l’opposition, Daniel Fasquelle (Pas-de- Calais), Philippe Houillon (Val-d’Oise), ancien président de la commission des lois, Georges Fenech (Rhône), magistrat, Hervé Morin (Eure), ex-ministre de la Défense. Pour le PS et le groupe EELV (EuropeÉcologie- Les Verts), figurent Jean-Marc Germain (Hauts-de-Seine), Cécile Untermaier, (Saône-et-Loire), Marie-Françoise Bechtel (Aisne), ancienne directrice de l’Ena, Thomas Thévenoud (Saône-et-Loire), Christian Eckert (Meurthe-et-Moselle), également rapporteur général du Budget. 

Le 21 mai commencent les auditions, avec l’entrée en lice d’Edwy Plenel et de Fabrice Arfi. Sobres, précis dans leurs exposés, les tombeurs de Cahuzac, plutôt fiers d’avoir ébranlé la République, reconstituent le puzzle qui les a conduits, au terme d’une longue enquête, à dénicher le compte suisse de Cahuzac. On n’en saura pas plus sur leurs contacts, leurs rendez-vous… Les deux compères consentent seulement à dire que Me Michel Gonelle ne leur a pas fourni une copie de l’enregistrement, cause de la chute de l’ex-ministre du Budget. Pour le reste, motus et bouche cousue. Les députés – surtout ceux du PS – écoutent, estomaqués, le récit des deux journalistes, qui prouve au moins une chose : leur enquête n’a pas été faite à la va-vite. Pour l’heure, un silence quasi religieux envahit la salle Lamartine de l’Assemblée nationale. En attendant des frictions au sein de la commission ? Possible…

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Rédacteur en chef adjoint de L’Express de 1986 à 2009, puis de Valeurs actuelles, Gilles Gaetner est journaliste d’investigation pour le site Atlantico.fr. Il est notamment l’auteur de «Règlements de comptes pour l’Élysée» (Oh !, 2006), «L’Art de retourner sa veste» (Le Rocher, 2007) et «La Corruption en France» (Bourin, 2012).

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