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Chine: corruption à tous les niveaux et sous toutes les formes

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Triche et fraude polluent toutes les strates de la société chinoise (Photo: Shutterstock.com)

En rappelant qu’historiquement ce pays a davantage été enclin à des changements brusques plutôt qu’à des évolutions progressives, ce livre pose la grande question économique de ce siècle : «le modèle chinois est-il vraiment pérenne ?»

Extrait de Chine: Colosse aux pieds d’argile, de Dominique Jolly (Editions Maxima – 5 juin 2014).

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’organisation non gouvernementale Transparency International. Dans son enquête 2010, la Chine obtient la note de 3,5/10 sur l’indice de perception par les milieux d’affaires de la corruption. Elle est ainsi au 78° rang sur 178 – soit une position meilleure que l’Inde (87°), le Mexique (98°) ou l’Indonésie (110°) ; mais moins bonne que Hong Kong (13°), le Japon (17°) ou Taïwan (33°). La France avec une note de 6,8/10 est quant à elle au 25° rang. Les critiques viennent même de l’intérieur de la Chine. Un rapport publié en 2011 par la Banque Centrale de Chine avance le chiffre étourdissant de 124 milliards de dollars de contrebande sur une période de dix-huit ans (entre la mi-1990 et 2008). Les auteurs de ces sorties illicites de fonds sont des cadres du Parti communiste, de la police, des officiers de justice et des dirigeants d’entreprises publiques.

[image:2,s] La corruption est en Chine à tous les niveaux et sous toutes les formes. Cela commence avec les CV présentés pour un poste : d’après les recruteurs que j’ai pu rencontrer, il est à peu près sûr qu’ils sont tous bidonnés. Cela continue avec l’employé administratif de base à qui le citoyen offre une cartouche de cigarettes pour que son dossier remonte sur le haut de la pile. Triche et fraude polluent également l’enseignement supérieur et la recherche. La corruption touche aussi la production de statistiques. La pratique de l’arrosage est d’ailleurs inscrite dans le langage courant. Ainsi, hong bao («enveloppe rouge») est l’expression consacrée en chinois pour désigner les sommes en liquide que les entreprises distribuent à des fonctionnaires pour avoir leur soutien sur un dossier, que les particuliers versent à l’hôpital, à l’école, etc.

Un peu plus haut dans la hiérarchie administrative, pour des questions plus importantes, un fonctionnaire pourra être convaincu par une caisse de whisky. Il y a eu, par exemple, le cas de Zhao Haibin, un des dirigeants de la police de Lufeng (Guangdong) qui a été démis de ses fonctions début 2013 après la révélation d’informations montrant qu’il serait propriétaire de plusieurs centaines d’appartements. Dans une zone de développement économique, un responsable local pourra faciliter l’accès à des mètres carrés loués à bon prix, après avoir pu par exemple effectuer un voyage d’étude en France avec sa femme. En septembre 2011, ce sont les habitants de Wukan (au Guangdong, le terreau de la réforme en Chine depuis 1978) qui accusent les autorités de corruption lors de la vente de terrains communaux à des investisseurs privés1.

C’est aussi la corruption qui permet des pratiques de gestion des ressources humaines d’un autre âge. Au mois de mai 2007, sous l’effet d’une rare couverture médiatique, le monde a découvert le scandale des ouvriers esclaves dans des mines et des briqueteries des provinces du Henan et du Shanxi. Plusieurs centaines de personnes vivaient sous la contrainte physique de gardiens. Une enquête a été ouverte et les leaders mafieux de ce trafic ont été arrêtés. Des procès ont été tenus et des sentences prononcées. Un des dirigeants a été condamné à mort. La thèse de complicité de la police locale et de l’antenne locale du Parti n’a pas été totalement écartée. Plus récemment, l’ONG américaine China Labor Watch a dénoncé des cas d’établissements, comme Pegatron à Shanghai, employant des mineurs. Certaines grandes entreprises qui sous-traitent des productions en Chine, ainsi que les autorités locales, ferment en effet les yeux sur quantité de dérives.

Les cas à très haut niveau ne sont pas rares. L’actualité fait régulièrement état de l’arrestation de barons locaux, voire de cadres au niveau national, condamnés pour corruption. Ces hauts cadres sont condamnés pour enrichissement personnel dans l’exercice de leurs fonctions. L’ancien maire de Pékin a fait de la prison pour corruption. Déjà en 2007, Zheng Xiaoyu – rien de moins que le patron de la State Food and Drug Administration pendant huit ans – a été condamné à mort après avoir été reconnu coupable d’avoir touché des pots-de-vin de firmes pharmaceutiques et de manquement au devoir pour avoir sciemment autorisé la mise sur le marché de médicaments dangereux. En 2008, Chen Liangyu, le secrétaire du Parti communiste de Shanghai, a été condamné à 18 ans de prison pour corruption.

En 2011, l’ex-ministre des chemins de fer, Liu Zhijun, a été arrêté, exclu du Parti communiste chinois et accusé de corruption massive et d’avoir entretenu dix-huit maîtresses (belle santé, ces gens du rail). Il a été condamné à la peine de mort en 2013 (une sanction généralement commuée en prison à vie). Il laisse en héritage le plus long réseau TGV au monde, mais aussi un Ministère fortement endetté et un réseau inaccessible à des centaines de millions de Chinois car trop coûteux pour eux. En 2012, c’est Tao Liming, l’ex-président de la Postal Savings Bank of China (cinquième banque chinoise en termes de dépôts) qui est mis à l’ombre pour corruption. Les sentences peuvent même aller jusqu’à la peine capitale effective, comme dans le cas précédemment cité de la patronne de l’exlaiterie Sanlu.

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Dominique Jolly est professeur de stratégie d’entreprise à SKEMA Business School (Sophia Antipolis, France). Il est aussi visiting professor à la prestigieuse CEIBS (China Europe Internationale Business School) de Shanghai. Grand connaisseur de la Chine où il se rend régulièrement depuis plus de quinze ans, il conseille des entreprises européennes sur leur stratégie chinoise.

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