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Commémorations du Débarquement: quels enjeux diplomatiques?

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La Maison Blanche a indiqué qu’elle ne prévoyait pas de rencontre en tête-à-tête entre le président américain Barack Obama et Vladimir Poutine lors des commémorations (shutterstock.com).

Le président français François Hollande a annoncé mardi 28 mai qu’il rencontrerait « en tête à tête » son homologue russe Vladimir Poutine à l’occasion des cérémonies de commémoration du D-Day allié en Normandie le 6 juin. Si le contexte reste extrêmement tendu entre les pays occidentaux et la Russie, un accident diplomatique est-il pour autant à prévoir ?

JOL Press : Le président François Hollande recevra le 5 juin à l’Élysée son homologue américain Barack Obama, pour une rencontre à la veille des cérémonies du D-Day allié en Normandie, ainsi que le président russe Vladimir Poutine. Comment vont se dérouler ces rencontres dans un contexte diplomatique difficile ?

Philippe Moreau Defarges : Nous vivons à une époque ou les acteurs des relations internationales se parlent et doivent se parler. Ces cérémonies visent à célébrer le Débarquement du 6 juin 44 et il était évident qu’un Russe devait être présent dans la mesure où la contribution soviétique à la Seconde Guerre mondiale a été absolument décisive et très lourde sur le plan humain. Barack Obama et Vladimir Poutine doivent être présents et cela ne devrait poser aucun problème.

Sur le plan diplomatique, chacun fait comme il veut, bien que dans le cadre des relations internationales, les acteurs savent être, au moins en apparence, bien élevés. Y aura-t-il des contacts entre Barack Obama et Vladimir Poutine, et François Hollande et Vladimir Poutine ? Très certainement, cela fait partie de la vie diplomatique.

JOL Press : Ce genre de rencontre est-elle fréquente en période de crise diplomatique ?

Philippe Moreau Defarges : Bien sûr. Dans les périodes de crise diplomatique on se parle d’ailleurs bien plus que dans les périodes d’entente. Plus les temps sont difficiles, plus il est nécessaire de se parler. Même dans une période d’extrême tension comme celle des années 30, alors que l’Europe se dirigeait à nouveau vers la guerre, les rencontres diplomatiques se multipliaient à tous les niveaux, pour empêcher la guerre et dénouer la crise. L’intensité des contacts diplomatiques va de soit en période de crise.

JOL Press : Il n’y a donc rien d’étonnant à voir ces trois grands acteurs de la diplomatie mondiale réunis à l’occasion de ces commémorations ?

Philippe Moreau Defarges : C’est le contraire qui serait étonnant. Ce serait effectivement extrêmement choquant que l’un de ces trois acteurs ne soit pas présent. La présence de Barack Obama est indispensable car les soldats américains se sont formidablement battus sur les plages de Normandie à l’occasion du Débarquement et celle de Vladimir Poutine l’est tout autant car les pertes militaires de l’Union soviétique représentent 88 % du total des pertes alliées en Europe. La présence de François Hollande, enfin, est toute naturelle parce que le Débarquement a eu lieu en Normandie et parce que la France a été particulièrement impliquée, grâce au Général de Gaulle, aux côtés des alliés.

En conséquence, ce qui serait scandaleux, ce serait l’absence de l’un de ces trois acteurs à l’occasion du 70e anniversaire du 6 juin 44. Cette absence serait même considérée comme un accident diplomatique.

JOL Press : Ces cérémonies se tiendront au lendemain d’un sommet du G7 qui aura lieu à Bruxelles, convoqué après la décision des Occidentaux d’annuler le G8 de Sotchi et de suspendre la Russie de ce groupe à la suite du rattachement de la Crimée à son territoire. N’est-ce pas là un climat diplomatique explosif ?

Philippe Moreau Defarges : La question de l’Ukraine est certes au cœur de tensions diplomatiques mais ce n’est pas pour autant que l’on peut parler de climat explosif. Le climat n’est ni historique ni exceptionnel dans l’histoire des relations internationales. Des tensions de ce type, il y en a eu au moment de la Libye, au moment de la Syrie, au moment de la guerre en Irak où le climat était bien plus tendu. Aujourd’hui la situation n’est pas plus grave que cela malgré ce que veulent bien croire certains commentateurs.

JOL Press : La Maison Blanche a indiqué qu’elle ne prévoyait pas de rencontre en tête-à-tête entre le président américain Barack Obama et Vladimir Poutine lors des commémorations. Comment organise-t-on ces rencontres pour éviter les conflits ?

Philippe Moreau Defarges : Il existe des règles diplomatiques très simples et établies. Barack Obama et Vladimir Poutine ne souhaitent pas de rencontres en tête-à-tête, on organisera donc le protocole de telle manière qu’ils ne se retrouvent pas en tête à tête. Mais il y a aussi ce que l’on dit dans la presse et ce qui se passe réellement : il est tout à fait probable que Barack Obama et Vladimir Poutine se rencontrent mais que cela ne soit pas rendu public. Les diplomates savent très bien gérer ce genre de situations.

JOL Press : Ces commémorations apparaissent-elles comme des pauses dans les relations internationales ou font-elles partie intégrante de la vie diplomatique ?

Philippe Moreau Defarges : Ces commémorations ne constituent en aucune façon des pauses dans la vie diplomatique. Ces cérémonies sont célébrées comme elles doivent l’être, Barack Obama, Vladimir Poutine et François Hollande sont d’accord pour y participer et c’est tout à fait normal. Quant à la crise ukrainienne, elle suit son cours et les négociations ne seront pas suspendues. Il est fort à parier qu’à l’occasion de ces commémorations, l’Ukraine soit au cœur des discussions entre les différents chefs d’Etat et de gouvernement. Ces échanges seront très certainement confidentiels mais ils auront bien lieu. Il y aura un temps pour les cérémonies et un temps pour les discussions.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Moreau Defarges est chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris.

Spécialiste des questions internationales et de géopolitique, il est l’auteur de très nombreux livres dont Introduction à la géopolitique (Points, 2009).

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