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Commission européenne: Christine Lagarde, le «3e homme» de Merkel?

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Christine Lagarde sera-t-elle la future présidente de la Commission ? (shutterstock.com)

Va-t-on confier la tête de la Commission européenne, le poste le plus important de l’Union européenne, à l’un des six candidats désignés par les groupes parlementaires ? Le suspens reste entier à l’heure où de nouveaux noms circulent parmi les acteurs de la vie politique européenne.

JOL Press : La chancelière allemande aurait demandé à François Hollande s’il était prêt à présenter la candidature de la directrice générale du FMI au poste de présidente de la Commission européenne. Ce choix vous surprend-il ?

Gérard Bossuat : Ce choix n’est pas très surprenant dans la mesure où Christine Lagarde incarne, en tant que directrice générale du FMI, les grandes instances internationales, économiques et financières. Et c’est certainement ce que cherche Angela Merkel. Certes, le FMI, avec Christine Lagarde, ne s’est pas montré hostile à l’aide aux Etats mais globalement on imagine mal la directrice générale du FMI s’opposer à la politique que mène Angela Merkel chez elle. Apparemment, François Hollande ne s’est pas montré enthousiaste mais il faudrait qu’il fasse des propositions un peu plus claires s’il considère que Christine Lagarde n’est pas la personne idéale pour prendre la tête de la Commission.

Il ne faut par ailleurs pas oublier que ce choix du futur président de la Commission ne se fera pas sans l’aval du Parlement. Car, conformément aux dispositions du traité de Lisbonne, le Conseil européen devrait proposer au Parlement un candidat à la fonction de président de la Commission, en tenant compte des élections du 25 mai dernier. Mais s’il est vrai que le nom de Christine Lagarde circule, la directrice générale du FMI est loin d’apparaître comme la favorite.

JOL Press : Cela serait-il logique, selon vous, que la candidature du luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la succession de José Manuel Barroso soit écartée ?

Gérard Bossuat : Si le Parlement européen propose le nom de Jean-Claude Juncker, il sera difficile pour les chefs d’Etat et de gouvernement de s’y opposer puisque le traité de Lisbonne demande qu’on tienne compte de l’avis du Parlement. Il est possible que le Conseil n’en tienne malgré tout pas compte mais il prendrait alors un risque. Certes, Angela Merkel a déclaré qu’il n’existait « aucune automaticité » entre le parti qui remporterait les élections européennes et le prochain président de la Commission européenne, mais je ne crois pas qu’elle aura pour autant le dernier mot.

Ce qui est certain, c’est que Jean-Claude Juncker n’ayant pas les 376 voix nécessaires pour prétendre au poste, les tractations vont se poursuivre. Il faut bien comprendre aujourd’hui que le Parlement est en train de jouer un rôle nouveau. Maintenant nous allons voir comment il va se saisir de cette compétence.

JOL Press : Christine Lagarde aurait-elle intérêt à quitter le FMI pour la Commission ?

Gérard Bossuat : Son mandat à la tête du FMI prend fin en 2016, elle pourrait donc tout à fait être intéressée par ce poste et je pense qu’elle en aurait la compétence. Mais la question qui se pose est de savoir si l’Union européenne a intérêt à avoir Christine Lagarde à la tête de la Commission. Car si elle est choisie, la politique menée sera clairement dans la continuité de celle de José Manuel Barroso, or il faut désembourber l’Europe aujourd’hui. Qui va pouvoir faire les meilleures propositions ? De quelle Europe voulons-nous ? Il semblerait que les citoyens européens aient manifesté une envie de changement.

JOL Press : On ne peut s’empêcher de penser, malgré tout, que c’est Angela Merkel qui aura le dernier mot sur cette question…

Gérard Bossuat : Je ne le crois pas, car le traité de Lisbonne est clair sur ce point précis mais il est vrai aussi qu’il ne faut pas minimiser les rapports de force. On ne peut donc pas exclure qu’elle l’emporte. Comme, en Europe, tout se termine par un compromis, Angela Merkel pourrait parvenir à imposer son choix à la présidence de la Commission mais je l’imagine mal ne pas tenir compte de l’avis du Parlement. On ne sait pas encore ce que le Parlement européen va souhaiter mais on peut penser qu’il souhaitera mettre en place une politique de relance, une politique d’aide à l’emploi.

Le PPE est arrivé en tête mais le PSE peut éventuellement faire des alliances avec les Verts. Au Parlement européen, rien ne se fait sans alliance. Le PSE peut donc devenir majoritaire et imposer un nom au Conseil européen.

JOL Press : Pensez-vous qu’à terme nous puissions arriver à une situation de blocage sur cette question du futur président de la Commission ?

Gérard Bossuat : C’est tout à fait envisageable, en effet, si les parlementaires imposent leur position mais rien ne me paraît moins sûr. Actuellement, on ne voit pas bien quelles sont les intentions du Parlement, on n’assiste qu’à des tractations, des rencontres plus ou moins secrètes entre les chefs d’Etat et de gouvernement mais aussi entre les partis mais on n’en sait pas plus. La nomination du président se fera très certainement à l’automne prochain, ce qui leur laisse du temps, mais il est très difficile de prévoir ce que tout cela va donner.

Au final, il faudrait que les parlementaires prennent en compte la volonté des citoyens européens qui ont exprimé le souhait d’un changement radical. Les citoyens veulent une autre Europe, qu’ils soient eurosceptiques ou pas, et c’est cette autre Europe que les parlementaires doivent définir. L’Europe doit intervenir dans la vie économique et sociale tout en respectant le rôle des Etats pour protéger les citoyens. Elle ne le fait pas actuellement.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Gérard Bossuat est professeur à l’université de Cergy- Pontoise, chaire Jean Monnet, directeur du master Études européennes et affaires internationales, membre du Groupe de liaison des historiens auprès des Communautés européennes. Il a publié sur l’Europe, entre autres, Les Fondateurs de l’Europe unie, ainsi que Faire l’Europe sans défaire la France.

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