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D-Day: le jour où la culture américaine a débarqué sur les côtes françaises

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Les guerres sont des tragédies mais elles sont aussi des occasions de brassages culturels (shutterstock.com).

Le 6 juin 1944, de jeunes Américains débarquent sur les côtes françaises avec dans leurs bagages un mode de vie qui influence encore aujourd’hui nos sociétés européennes. L’American Way of Life séduit la jeunesse française qui se met à mâcher des chewing-gums, à écouter du jazz et à fumer des cigarettes américaines. Le T-shirt, le jeans, les lunettes de soleil Ray-Ban qui équipent les pilots de l’US Air Force sont plus populaires que jamais. La culture américaine est assimilée à la libération, l’Europe tombe sous le charme…

JOL Press : Au delà de la dimension armée, quelles ont été les conséquences du débarquement américain pour la société européenne ?
 

François Durpaire : Une expression du professeur Joseph Nye résume bien cet apport des Américains, il s’agit du « soft power », c’est-à-dire la puissance douce, la puissance par la culture et non par les armes. Si ce terme date des années 90, on peut faire remonter le « soft power » à la fin de la Second Guerre mondiale.

Le 6 juin 1944 marque le commencement de la puissance culturelle américaine à l’étranger. Non pas que la culture américaine n’existait pas avant, mais elle n’avait ni le prestige ni l’hégémonie qu’elle a eu après le Débarquement, après l’arrivée des Américains en Europe.

JOL Press : Qu’est-ce que le Débarquement a eu comme impact sur les mentalités de l’époque ?
 

François Durpaire : Le Débarquement a permis aux Européens et aux Français en particulier de rencontrer de jeunes hommes venus d’un autre continent et qui portaient des valeurs totalement différentes de celles de la vieille Europe. Les Français voient débarquer ces jeunes avec des yeux écarquillés qui portent en eux des valeurs pour lesquelles ils se sont battus : la liberté mais aussi la culture populaire. Ces jeunes gens mâchent des chewing-gums et écoutent des musiques encore inconnues. Un phénomène un peu similaire avait été constaté lors de la Première Guerre mondiale.

Les guerres sont des tragédies mais elles sont aussi des occasions de brassages culturels.

Lors de la Première Guerre mondiale, avec le régiment noir, les Européens ont découvert le ragtime, avec le Débarquement, c’est le jazz qui s’enracine en France, notamment dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Mais cette culture américaine apportée par les jeunes GI’s c’est aussi le cinéma, le pop-art qui arrive en Europe en 1948, un vent de liberté qui vient libérer l’Europe.

JOL Press : En quoi les sociétés américaines et européennes étaient-elles si différentes à l’époque ?

François Durpaire : Les sociétés américaine et européennes sont très différentes sur le plan culturel. Quand on parle de culture aux Etats-Unis, il s’agit de culture populaire, de culture qui ne fait pas de différence entre les classes sociales. La culture en Europe, à l’époque, est très élitiste : les ballets, l’opéra, la grande littérature ne sont pas accessibles à tous.

La victoire des forces armées en 1945 marque aussi la victoire de la culture populaire et la reconnaissance de cette culture populaire, dans une Europe encore toute imprégnée d’Ancien régime, très compartimentée et hiérarchisée, avec des modes de vie très différents selon que l’on est « puissant ou misérable ». C’est ce que dira Andy Warhol quelques années plus tard : « Un produit américain, c’est un produit égalitaire ».

Certes, il existe des inégalités sociales très importantes aux Etats-Unis, sur le plan économique, mais goûter un hamburger, un hot-dog, écouter un air de jazz, est accessible à tous, ce n’est pas comme le bon vin ou la haute couture. Les jeunes Européens seront complètement fascinés par cette culture qui sera la culture des années 50 puis des années 60 et qui est à la racine de nos cultures contemporaines.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

François Durpaire est historien, spécialiste des Etats-Unis. Il est enseignant à l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Que Sais-je ? Sur l’Histoire des Etats-Unis (PUF, 2013) ; Les Etats-Unis pour Les Nuls avec Thomas Snégaroff (First, 2012) ; L’Amérique de Barack Obama (Demopolis, 2007). Son site : www.durpaire.com

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