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Dans une favela brésilienne, le football est un remède social

A l’occasion de la Coupe du monde 2014 au Brésil, JOL Press vous propose une série « Histoires de football », un tour du monde en portraits et récits courts mettant en exergue le rôle social et sociétale du sport le plus populaire au monde… Dans le cadre d’un partenariat avec Metronews, vous pouvez retrouver ces Histoires de football » dans la version papier du quotidien gratuit Métro.

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Manoel Batista Filho a un surnom, professeur Bate. Il arrive à notre rendez-vous accompagné de quelques enfants et nous conduit vers un terrain de football sur le campus de l’Université fédérale de Bahia, dans le quartier d’Ondina, à Salvador.

Spirale infernale

A 41 ans, Manoel Batista Filho est surveillant de lieux patrimoniaux. Mais, son surnom, il le doit à un projet social dont il est à l’origine, un projet conçu pour et avec les jeunes de la favela Calabar e Alto das Pombas. « Quand nous avons débuté en 2007 avec mon ami Ocival, il y avait beaucoup de criminalité et de trafic de drogue dans la favela. Un nombre impressionnant de jeunes se trouvaient alors enrôlés dans des affrontements permanents entre différents groupes et rejoignaient les réseaux de narcotrafiquants. Cela m’a révolté et incité à agir pour enrayer cet engrenage », raconte-t-il avec humilité.

Muni de son bâton de pèlerin, il est parti à la rencontre des parents de la communauté afin de les convaincre de la validité de leur démarche. Son objectif consistait à organiser des entraînements de foot pour les enfants de la favela. L’accueil est très favorable. La plupart des parents, désespérés de voir leurs enfants fréquenter des individus malveillants, ont accordé leur confiance au professeur Bate. Il restait à résoudre un problème de taille, trouver un terrain pouvant accueillir les quelques 40 jeunes, tous aussi impatients de taper dans un ballon.

Entraide indispensable

Manoel a très vite compris sur qui il pouvait compter, et ses propos éclairent sur les sources de son engagement… « Nous avons de la chance que notre favela soit proche de l’Université fédérale, car après y avoir rencontré un responsable des sports, ce dernier a accepté de mettre un terrain à notre disposition. Pour les maillots et les ballons, nous avons bénéficié de la solidarité des habitants. Ici, il ne sert à rien d’espérer un soutien de l’Etat, qui ne se manifeste jamais, si ce n’est à travers les brutalités policières ».

Progressivement, d’autres jeunes ont rejoint Bate et Ocival pour des entrainements les mardis, mercredis et samedis. Désormais, ce sont plus de 120 enfants qui foulent le terrain sous la férule des deux compères. Faute de matériel, de vestiaire et de budget pour s’acquitter d’une cotisation, l’équipe n’est pas autorisée à devenir un club et ne peut participer à un championnat. A la place, elle joue régulièrement des tournois dans les autres quartiers de Salvador. Le professeur Bate rêve de créer trois équipes, en moins de 12 ans, moins de 15 ans et moins de 17 ans et les engager dans un championnat officiel.

« Ce sera possible un jour, j’en suis convaincu. On est déjà très heureux avec ce que l’on a. L’essentiel est de transmettre des valeurs humanistes à ces jeunes, de faire en sorte qu’ils prennent le bon chemin. Je suis si fier de croiser de temps à autres des adolescents qui ont commencé l’aventure en 2007. Aujourd’hui, la majorité travaille et se comporte de manière honnête et respectueuse. Certains sont déjà mariés », explique-t-il le visage illuminé par un généreux sourire.

Le plaisir du jeu

Sur le terrain, ce jour-là, les jeunes sont joyeux, s’amusent manifestement beaucoup et oublient leurs soucis respectifs le temps d’une partie. Peu habitués à rencontrer un étranger, ils s’approchent néanmoins sans retenue, posent des questions et livrent leurs pronostics. Tous attendent un sacre du Brésil, mais tous redoutent l’Allemagne, considérée comme la meilleure équipe… après le Brésil. Le professeur Bate acquiesce, non sans scepticisme. Pour lui, la seleção a perdu de sa superbe, elle ne joue plus avec folie en improvisant, style de jeu qui l’a longtemps caractérisé. Les joueurs sont trop formatés par les tactiques rigides de leur club.

Pour sa part, il encourage ce qui a fait la beauté et la force de cette équipe nationale brésilienne : « Les jeunes jouent avec intuition et spontanéité, à l’image de ce qu’ils sont dans la vie au quotidien. Parfois, ils sont indisciplinés et je dois sévir. Ils m’écoutent et obéissent, car je connais leurs parents et, en cas de dérapage, ils seront punis voire privés de football ».

Avant de nous quitter, Bate nous fait visiter la favela. Très apprécié, il est sans arrêt interpellé, tout le monde a toujours quelque chose à lui raconter. La preuve qu’il a sans doute, à sa manière, su faire une différence.

Yanik Sansonnens

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