Entretien avec Mathilde Auvillain, co-auteur du webdocumentaire «The Dark Side Of The Italian Tomato» avec Stefano Liberti.
Dans le sud de l’Italie, les migrants africains récoltent les tomates pour un salaire de misère et dans des conditions de vie déplorables. Une fois transformées en concentré, ces tomates sont exportées dans le monde entier, y compris en Afrique. «The Dark Side Of The Italian Tomato» raconte le voyage des tomates italiennes de l’Europe à l’Afrique et celui, en sens inverse, des migrants pris dans l’engrenage d’une concurrence déloyale.
JOL Press : Comment est né ce projet de webdocumentaire ?
Mathilde Auvillain : Il y a deux ans, nous sommes allés dans les Pouilles, au sud de l’Italie, faire un reportage sur les migrants africains exploités dans les champs de tomates. Sans-papiers, ils travaillent au noir et vivent dans des conditions misérables. Ces migrants sont pourtant le maillon essentiel d’un commerce international : l’Italie est le troisième pays producteur de tomates au monde, après les Etats-Unis et la Chine.
«The Dark Side Of The Italian Tomato» raconte l’histoire d’un business qui se fait en partie aux dépens de l’Afrique. L’Union européenne fait du dumping en subventionnant la production de tomates italiennes. Nous avons été stupéfaits en découvrant que le concentré de tomate italien est exporté en Afrique, notamment au Ghana. L’argent envoyé au pays par les migrants permet à leur famille d’acheter de la sauce tomate italienne, ce qui alimente le cercle vicieux.
>>>> «The Dark Side Of The Italian Tomato» est en ligne sur le site de RFI
JOL Press : Vous avez donc décidé de retracer le chemin de ces boîtes de concentré de tomate jusqu’au Ghana…
Mathilde Auvillain : Il y a de la tomate dans tous les plats ghanéens. Autrefois, la culture de la tomate était une mine d’or pour les paysans du nord du Ghana. Aujourd’hui, les migrants sont pris dans l’engrenage d’une concurrence déloyale. Les importations de tomates ont dévasté l’agriculture locale, pas assez compétitive, obligeant souvent les paysans à quitter leurs terres.
92% des tomates vendues au niveau national étaient d’origine ghanéene en 1998, contre 57% en 2003. Le plus absurde, c’est que les tomates italiennes peuvent être vendues à petit prix parce qu’elles sont récoltées par une main-d’œuvre à bas coût venue d’Afrique…
JOL Press : Que faudrait-il faire pour enrayer ce cercle vicieux ?
Mathilde Auvillain : Il y a quatre ans, les saisonniers africains avaient organisé une grève générale à Nardo, dans le sud des Pouilles. Les tomates avaient pourri sur pied, donnant ainsi des sueurs froides aux membres de ce business de «l’or rouge». Au final, une loi a été votée condamnant les «caporaux» – les intermédiaires entre les travailleurs et les employeurs.
Mais cela n’a pas permis d’enrayer le phénomène… L’Europe refuse de voir que les travailleurs migrants contribuent au bon fonctionnement de son économie.
JOL Press : Pourquoi avoir choisi le format du webdocumentaire ?
Mathilde Auvillain : Ce format permet de dépasser les frontières de l’information. «The Dark Side Of The Italian Tomato» parle de globalisation : aujourd’hui, les marchandises sont exportées dans le monde entier, y compris les tomates italiennes. Un documentaire multimédia permet de toucher un large public à travers différents supports (web, radio, presse écrite…).
Cette enquête est publiée en trois langues : en français sur RFI, en italien sur Internazionale et en anglais sur le site d’Al Jazeera. Je tiens à souligner que ce travail a pu être réalisé grâce à une bourse financée par la Fondation Bill et Melinda Gates.