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Djihadisme: la prison est-elle une machine à fabriquer des terroristes?

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La prison est-elle un lieu où s’exerce la radicalisation ? (shutterstock.com)

Originaire de Roubaix, le tueur présumé français du musée juif de Bruxelles, Mehdi Nemmouche, a été interpellé vendredi 30 mai 2014 à Marseille. Ce suspect aurait effectué de la prison après avoir braqué une bijouterie près de Roubaix en 2006 et aurait été en Syrie en 2013 pour faire le djihad. Ce serait même en prison qu’il se serait rapproché des milieux djihadistes.

JOL Press : Mehdi Nemmouche, le tueur présumé français du musée juif de Bruxelles aurait été radicalisé en prison. Est-ce un phénomène nouveau ?

Roland Jacquard : On constate ce phénomène depuis les années 90 : lors des attentats dans le métro parisien, on s’est aperçu que les terroristes de l’époque avaient été radicalisés en prison ou à la sortie de prison. Cela fait aussi des années que l’administration pénitentiaire réclame une vraie politique pour contrer ce phénomène à l’intérieur des prisons.

Très peu d’imams modérés acceptent de se rendre dans les prisons pour répondre aux questions des personnes incarcérées. Quant à ceux qui acceptent de venir en prison, ils sont suspectés par l’administration pénitentiaire d’encourager les individus les plus radicalisés plutôt que de les calmer.

JOL Press : Pourquoi les imams modérés refusent-ils de se rendre en prison ?

Roland Jacquard : Ce n’est pas forcément évident de se rendre dans les prisons et tous ne se sentent pas prêts à y aller. Sous la présidence Sarkozy, un projet de formation des imams spécialement pour les prisons avait été évoqué mais n’avait jamais abouti.

JOL Press : Comment s’organise ce prosélytisme en prison ?

Roland Jacquard : Il faudrait, avant toute chose, éviter de mettre les islamistes radicaux en contacts avec le reste des détenus. Un jour, un leader arrive, lit des textes religieux, assure à ceux qui veulent bien l’entendre qu’ils seront pris en charge à la sortie de la prison par des associations salafistes, qu’ils pourront avoir un travail et des missions à remplir…

C’est un travail qui se fait de semaines en semaines, au bout de quelques années, le détenu est bien conditionné et, à sa sortie, il est attendu par des gens qui lui donnent effectivement un abris, de l’argent ou encore les numéros de personnes qui pourraient se rendre disponibles pour sa famille. Si bien que le jour où ces mêmes personnes le rappellent pour l’envoyer en mission pour faire le djihad, il est disposé à partir.

JOL Press : Comment sont choisis les éventuels futurs djihadistes en prison ?

Roland Jacquard : Quand les détenus sont deux ou trois par cellule, à force de vivre ensemble, de poser quelques questions, vous comprenez vite si votre interlocuteur peut être une proie facile, s’il peut être psychologiquement manipulé, s’il a des amis à l’extérieur ou si la violence ne lui fait pas peur. Les conversations dans la cour on aussi leur importance. Ces recrutements se font après une étude de comportement au sein même de la prison. C’est d’ailleurs ainsi que les gardiens parviennent à comprendre ce qui se passe.

JOL Press : Quelles sont aujourd’hui les solutions pour agir concrètement contre ce prosélytisme en prison ?

Roland Jacquard : Il faudrait d’abord empêcher tout contact entre les prisonniers soupçonnés de radicalisation salafiste et le reste des détenus, afin, par exemple, qu’un trafiquant d’armes ne puisse pas donner d’informations à une personne qui chercherait à s’en procurer. Il faudrait aussi éviter que des personnes de l’extérieur puisse apporter un quelconque soutien. Mais le problème est complexe car si vous ne les séparez pas vous créez une sorte d’association djihadiste au sein de la prison et si vous les séparez, c’est comme un virus rampant qui peut contaminer un plus grand nombre de personnes.

En France, au nom de la liberté religieuse de chacun, nous n’osons pas nous emparer une bonne fois pour toutes de ces questions, contrairement aux Américains.

JOL Press : Dans le cas de Mehdi Nemmouche, l’administration carcérale avait alerté les services de renseignements sur sa dangerosité. Comment expliquer que cet individu n’ait pas été mieux surveillé à sa sortie de prison ?

Roland Jacquard : Il existe des services de renseignement à l’intérieur des prisons qui sont, en effet, en contact avec les services spécialisés, notamment la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) ou la Direction Centrale de la Police Judiciaire. Des noms sont transmis mais sont la plupart du temps archivés. Je pense que désormais, avec la multiplication des retours de djihadistes et le développement du terrorisme dans les années à venir, non seulement en France mais aussi en Europe, les autorités vont prendre conscience de l’urgence d’une politique anti-terroriste renforcée.

JOL Press : « La prison est une machine à fabriquer des terroristes », selon l’ancien juge spécialiste de la lutte antiterroriste Jean-Louis Bruguière. Qu’en pensez-vous ?

Roland Jacquard : Je n’irai pas jusque là. On a tendance à reporter tous les maux sur la société une fois que les faits sont passés. Mais si vous prenez le cas du tueur présumé français du musée juif de Bruxelles, je ne crois pas à la théorie qui fait croire qu’il se serait radicalisé uniquement en prison. A sa sortie de prison, il est allé délibérément en Syrie et il a été pris en main par un facilitateur salafiste franco-algérien, installé à la frontière entre la Syrie et la Turquie et qui a recruté quasiment l’ensemble des djihadistes français qui sont partis en Syrie. Je pense que c’est cette personne là qui l’a le plus radicalisé. Sa radicalisation s’est aussi confirmée grâce aux réseaux sociaux.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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