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D’un combattant à l’autre…

L’année 2014 est riche en commémorations. Celles de la Grande Guerre et de l’année 1944 occupent l’essentiel du temps de nos politiques et de l’espace médiatique, au détriment de quelques autres (celle de la fin de la guerre d’Indochine en particulier). Elles ont, parmi mille autres, le mérite de susciter une curiosité bien réelle pour le sort des combattants pendant ces guerres.

Après la diffusion des épisodes d’« Apocalypse – La Première Guerre mondiale » sur France 2, le débat qui a eu lieu le 1er avril, animé par Marie Drucker avait été en grande partie consacré à ce sort de l’homme dans la guerre, à la vie du combattant, à ses écrits et à ses objets. Ont été publiés ou réédités des récits de la guerre par ceux qui l’ont faite. Si cet intérêt bien réel a de quoi séduire, on peut aussi s’interroger sur le fait qu’il faille attendre si longtemps pour que la vie du combattant intéresse.

Cet hiver, est sorti un livre intitulé « Blessé de guerre ». Il est écrit par Jocelyn Truchet. Plus précisément par le sergent Jocelyn Truchet. Car il est un de ces militaires qui ont décidé d’écrire, de raconter la guerre qu’ils ont vécue en Afghanistan. Jocelyn Truchet n’en est pas sorti indemne puisqu’il y a perdu une jambe dans l’explosion d’une bombe artisanale. Ce livre est donc aussi le récit de sa reconstruction physique et morale. Mais avant d’en venir à cette blessure, à ce moment décisif, le sergent Truchet raconte la guerre, les petites et grandes opérations, jour après jour, comme un carnet de route d’autant plus vivant que les photos et les cartes accompagnent le texte.

Le sort du combattant n’intéresse que lorsqu’il peut s’insérer dans un récit à tonalité victimaire

Ce témoignage a reçu un écho bien réel dans les milieux militaires, mais si peu par ailleurs… Faudra-t-il attendre 100 ans pour que la trace laissée par Jocelyn Truchet et d’autres finissent par attirer réellement les regards ? Sans doute aurait-elle davantage intéressé des médias grand public si le sergent Truchet s’était plaint. Ou même, poussons le trait, s’il avait porté plainte…

Le sort du combattant n’intéresse en fait que lorsqu’il peut s’insérer dans un récit à tonalité victimaire, dont « Apocalypse », sur la Grande Guerre, n’était par ailleurs pas totalement dénué. Or, Jocelyn Truchet est tout sauf une victime : il est un homme debout, après et avant sa blessure, un homme libre qui a choisi son destin et continue de le choisir. Comme beaucoup de ses camarades.

Tenter de comprendre le destin du combattant n’implique pas de verser dans l’exaltation belliciste ni dans l’apologie guerrière. Cela n’exclut pas non plus de s’interroger sur le bien fondé d’une opération, sur le choix politique posé pour engager des hommes dans un conflit ou sur la conduite de la guerre. Les travaux des chercheurs et des analystes sur ce sujet sont essentiels et indispensables.

Différence entre la compassion et l’apitoiement

Il est évident que la nature même des conflits dans lesquels les troupes françaises peuvent désormais se trouver engagées ne contribuent pas à l’élaboration de récits qui, sans même fabriquer des héros, contribuent à rendre sa part de vérité à la réalité combattante et à ses ressorts propres. Mais cette nature des engagements extérieurs ne suffit pas à expliquer le tropisme contemporain dont il est ici question. Car c’est bien la manière dont nous regardons l’ensemble des guerres actuelles et passées qui est touchée par cet apitoiement pour le combattant.

La compassion pour les hommes pris dans le chaos de la guerre est un sentiment noble et une approche nécessaire. Certains parmi les plus grands qui ont raconté la guerre n’en étaient pas dénués, loin de là. Mais il y a bien une différence entre la compassion et l’apitoiement.

Or, ce dernier induit désormais des récits qui transforment presque systématiquement les combattants, de 1914 ou de 2014, en des pions privés de libre arbitre et de capacité raisonnante, en victimes systématiques d’enjeux qui les dépassent. C’est nier ce qui fait la valeur de leur expérience propre, de leur autonomie, du choix inévitablement contraint mais librement consenti d’un destin particulier. Inclure ces réalités dans les récits de guerre devrait être une préoccupation. Le respect réel pour ceux qui tombent et sont tombés à la guerre est à ce prix. Blessé de guerre, Jocelyn Truchet, en collaboration avec Bruno Pasdeloup, 22 euros

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