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Élections en Libye: face au chaos politique et sécuritaire, les jeunes veulent partir

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(Crédit photo: Dona_Bozzi / Shutterstock.com)

JOL Press : Comment s’est déroulée la campagne électorale pour ces élections législatives ?
 

Karim Nabata : Tout s’est organisé à la dernière minute. Le Congrès général national (CGN) a essayé de retarder ces élections au maximum, mais sous la pression de l’opinion publique, il a finalement annoncé la date un mois avant. Tous les préparatifs et ce qui accompagne normalement une campagne électorale ont donc été très rapidement mis en place.

En Libye, il faut savoir que les personnes qui se présentent aux élections doivent d’abord passer l’épreuve de l’intégrité auprès d’un comité spécial, mais cela n’a même pas eu lieu. Autre difficulté : cette année, nous avons voté trois fois, et à chaque fois, il a fallu se réenregistrer auprès du Haut commissariat national aux élections.

Le temps était donc vraiment très limité, on ne savait pas pour qui voter puisque la campagne électorale ne s’est pas déroulée comme il faut. Par ailleurs, l’expérience du CGN depuis deux ans n’a pas vraiment plu à la population : cela ne les encourage pas à voter une seconde fois pour un autre organisme qui sera semblable au précédent.

JOL Press : On parle beaucoup en France du climat d’insécurité qui règne en Libye… Qu’en est-il réellement ?
 

Karim Nabata : Le problème de l’insécurité est surtout sensible à l’est du pays, notamment à Benghazi ou à Derna, qui est sous l’emprise des intégristes et où il n’y aura pas d’élections. À Tripoli, la situation est plutôt stable. La seule région qui va pouvoir bénéficier des élections sera la Tripolitaine. Les autres régions vont connaître des problèmes sécuritaires. Lundi, un des candidats a d’ailleurs été assassiné à Sebha, au sud du pays. Vous voyez le tableau…

JOL Press : Comment le général dissident Khalifa Haftar, qui entend lutter contre les « terroristes islamistes », est-il perçu par la population libyenne ?
 

Karim Nabata : Le général Haftar a sauté sur l’occasion suscitée par le vide sécuritaire dans le pays pour lancer une campagne un peu agressive contre les islamistes. Actuellement, la population est partagée : même ceux qui sont pour cette campagne militaire sont souvent contre la personnalité d’Haftar.

Beaucoup de gens sympathisent avec le mouvement général de l’armée, qui voulait faire cesser les crimes et les attentats contre les militaires, à Benghazi surtout, mais ne considèrent pas Haftar comme la bonne personne pour mener ce genre d’opération. Haftar, à cause de son histoire [ancien général de l’armée de Kadhafi, il fut à la tête de la « Force Haftar » basée au Tchad et soutenue par les Etats-Unis pour renverser Kadhafi, ndlr] et de son charisme, n’est pas apprécié par la majorité. Il évoque un peu l’image de Kadhafi et de son régime militaire.

JOL Press : Quel regard portez-vous sur la classe politique libyenne et comment voyez-vous l’avenir de la Libye, trois ans après la révolution ?
 

Karim Nabata : Les institutions libyennes sont inexistantes, malgré la présence d’un triumvirat, c’est-à-dire un gouvernement à trois têtes, avec un ex, un remplaçant et un présenté. C’est le flou, le chaos, même si le gouvernement essaie de se légitimer auprès de la population pour pouvoir travailler. Le Congrès a perdu sa légitimité depuis le 7 février, lorsqu’il a décidé de prolonger son mandat. Le gouvernement issu de ce Congrès n’est donc plus légitime dans l’esprit de la majorité de la population.

Espérons qu’avec ces élections, ils créeront un autre organisme qui donnera la légitimité à un nouveau gouvernement. Car aujourd’hui, la Libye « s’autogouverne » : régionalement, certaines villes se gouvernent elles-mêmes, et l’ordre est imposé par quelques milices dans des grandes villes.

JOL Press : Parmi les jeunes générations, quel sentiment prévaut aujourd’hui ?
 

Karim Nabata : Il y a un sentiment de désespoir très profond chez la jeunesse libyenne. Dans la tendance générale, j’entends souvent les jeunes dirent qu’ils vont « foutre le camp » ou partir, chose qui ne se disait pas avant. Il faut savoir que les Libyens ne sont pas une population migrante mais maintenant, on sent que pour des raisons de sécurité et pour des raisons politiques et économiques, les Libyens pensent vraiment à quitter le pays, à trouver un autre endroit où s’installer pour quelques années.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Karim Nabata est un blogueur libyen basé à Tripoli. Il tient un blog sur la plateforme Libyablog, décryptant, souvent avec humour, la vie politique libyenne.

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