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Emploi: la France doit-elle s’inspirer de l’Allemagne?

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L’industriel Peter Hartz est le père des réformes controversées du marché du travail allemand (Photo: Shutterstock.com)

 
JOL Press : La précarisation du marché du travail peut-elle être une réponse au chômage ? 
 

Gilles Saint-Paul : La «précarisation» a émergé comme modus vivendi entre des «insiders», représentés par les syndicats, qui n’étaient pas disposés à remettre en question les avantages dont ils bénéficiaient afin de créer des emplois, les entreprises qui se plaignaient des entraves à la libre gestion que constituaient ces rigidités, et les gouvernements désireux de faire état d’avancées sur le front de l’emploi auprès des médias et de leur électorat.

Le secteur précaire est donc apparu aux côtés du secteur protégé du marché du travail, le premier permettant de garantir la pérennité du second en offrant aux entreprises la marge de manoeuvre dont elles avaient besoin sans remettre en question les conditions d’emploi des «insiders». Les expériences des pays voisins (notamment ceux du sud de l’Europe) semblent indiquer que cette solution, pour imparfaite qu’elle soit, a permis de créer des emplois supplémentaires.

Le revers de la médaille est que ces emplois disparaissent très rapidement en période de récession, puisqu’il suffit par exemple à l’entreprise de ne pas renouveler les CDD pour se délester de la fraction de sa main-d’oeuvre ayant ce type de contrat. C’est l’une des raisons pour lesquelles le chômage en Espagne, qui avait considérablement baissé entre le milieu des années 1990 et 2008, est, sous l’effet de la crise, brusquement remonté aux niveaux exceptionnels qui caractérisaient cette économie entre la mort de Franco et les réformes introduites par Felipe Gonzalez au milieu des années 1980.

JOL Press : Ce modèle de marché du travail, tel qu’il existe en Allemagne, est-il efficace ? Quelles sont ses limites ? 
 

Gilles Saint-Paul : Observons tout d’abord l’exceptionnelle performance du marché du travail allemand depuis l’introduction des réformes Hartz. En effet, depuis 2005 il a baissé de 12% à 5%, alors même que l’économie mondiale était frappée par une crise sans précédent. Ceci dit, le marché du travail allemand diffère du marché français par de nombreux aspects. En particulier, les liens entre système éducatif et marché du travail sont très différents.

Concentrons-nous sur trois aspects importants du marché du travail allemand : (1) l’existence d’accords de maintien de l’emploi dans les entreprises en échange de réduction de salaire, et/ou de réduction du temps de travail, (2) la réduction de la générosité de l’indemnisation du chômage lors des réformes Hartz IV, et (3) les mini-jobs.

Concernant les accords de maintien de l’emploi, que l’on essaye d’émuler en France, ils stabilisent certainement l’économie en période de récession et témoignent de l’existence en Allemagne de syndicats pragmatiques et au courant des réalités économiques. Mais ces mêmes syndicats ne s’en montrent pas moins gourmands en période de boum ; ils entendent se faire payer pour leur comportement vertueux pendant la récession. Il n’est donc pas évident que ce genre d’institutions réduise le taux de chômage moyen dans l’économie. Elles tendent plutôt à stabiliser les fluctuations de l’emploi, et à réduire les mouvements de main-d’oeuvre entre emploi et chômage. Les employés en place y trouvent leur compte, puisqu’ils ont moins de chances de perdre leur emploi. Mais les chômeurs, lorsque l’économie repart, doivent attendre que les entreprises aient fini de résorber le chômage technique des «insiders» avant de commencer à réembaucher. Ce système n’est pas dans leur intérêt et comme il réduit la concurrence entre chômeurs et employés en place, il contribue à la pression salariale et il n’est donc pas clair qu’il ait un effet bénéfique sur le taux de chômage à long terme. En revanche, ce système est favorable à la productivité des entreprises et à la croissance, car il limite les pertes de savoir-faire des travailleurs en place impliquées par les licenciements en période de récession.

S’agissant de la baisse de l’indemnisation du chômage, on pense en général que ce qui tend à accroître le taux de chômage c’est le fait d’indemniser les chômeurs à un taux généreux pour de longues durées (plusieurs années). D’une part, les demandeurs d’emploi, anticipant cette durée élevée, on des incitations réduites à chercher immédiatement un travail à la suite d’une perte d’emploi. D’autre part, les chômeurs de longue durée sont plus ou moins considérés comme inemployables. Il est donc important de faire en sorte qu’un maximum de chômeurs trouve du travail avant un an. Or, dans les pays anglo-saxons où la durée d’indemnisation est relativement courte, le taux de chômage est faible et la part des chômeurs de longue durée dans le chômage totale très faible si on la compare au cas de l’Europe continentale. Ce n’est donc pas tant le niveau des allocations chômage qui compte que leur durée. Les réformes Hartz IV ont maintenu un taux d’indemnisation élevé pour les chômeurs de courte durée, mais elles l’ont considérablement réduit pour les chômeurs de longue durée. On estime que ce seul aspect des réformes aurait réduit le taux de chômage de long terme de 1 à 2 points.

La partie la plus controversée des réformes allemandes est celle qui concerne les mini-jobs. Pour certains, ces mini-jobs démontrent les effets délétères de la mondialisation et de l’intégration européenne, qui contraignent les travailleurs les moins qualifiés à s’aligner sur les niveaux de salaire roumains ou bulgares. Cette critique est exagérée car la plupart des mini-jobs sont à temps partiel (environ 15 heures par semaine) ; leur salaire horaire n’est donc pas si faible. Ces mini-jobs sont cumulables avec des minima sociaux ou un emploi principal ; ils sont donc en quelque sorte comparables à notre «RSA-activité». L’idée est qu’il est dans l’intérêt de tous qu’un récipiendaire de minima sociaux puisse exercer une activité à la marge : cela le maintient en contact avec le marché du travail, lui évitant, du moins on peut l’espérer, les stigmates du chômage de longue durée, tout en accroissant ses revenus. Enfin, et surtout, les mini-jobs existaient avant les réformes Hartz ; celles-ci ont surtout permis le cumul de ces derniers avec un emploi principal. En effet, la quasi totalité de la hausse du nombre de travailleurs ayant des mini-jobs depuis ces réformes (en gros, de 4,5 millions à 7,5 millions) est due à ces cumuls, et non pas à une augmentation des travailleurs dont le seul emploi est un mini-job. Les mini-jobs semblent donc une option intelligente pour gérer le problème des travailleurs pauvres dans un monde où la robotisation et les échanges internationaux tendent à réduire leur employabilité. Ils ont sans doute réduit le taux de chômage d’environ 1 point mais ce n’est pas là leur effet principal. 

JOL Press : Le modèle allemand est-il exportable en France ? 
 

Gilles Saint-Paul : Le principal obstacle réside dans l’état d’esprit différent des syndicats. Les syndicats français se situent dans une tradition marxiste selon laquelle l’employeur est l’ennemi et toute négociation salariale est un jeu à somme nulle porteur de conflit. Ils sont également retranchés dans une attitude de défiance envers toute libéralisation des marchés, y compris quand de telles mesures bénéficieraient à leurs propres membres.

On en a vu une illustration lors du feuilleton sur l’ouverture des magasins le dimanche, où la CGT a déposé des recours alors qu’une majorité des employés des enseignes concernées y était favorable. Les syndicats allemands ont au contraire conscience que ce qui affaiblit leur entreprise les affaiblit aussi. Cela accroît considérablement les possibilités de réforme et d’ajustements au niveau de l’entreprise par la négociation. Une transposition de l’expérience allemande dans notre pays passe donc d’abord par une démocratisation de la représentativité syndicale.

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[image:2,s] Plan Solidarité Emploi, le 1er réseau social d’aide au retour à l’emploi 

Plan Solidarité Emploi a pour ambition de préserver les demandeurs d’emploi des dangers de la désocialisation, un des symptômes les plus destructeurs du chômage. 

Réseau d’entraide et de solidarité sans équivalent, Plan Solidarité Emploi met en relation des demandeurs d’emploi et des professionnels en poste ou à la retraite. 

Ces « compagnons de l’emploi » sont volontaires pour écouter et orienter ceux qui en ont besoin. 

JOL Press – média citoyen sur Internet – soutient Plan Solidarité Emploi. 

Aujourd’hui, nous travaillons tous pour l’emploi ! 

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