Site icon La Revue Internationale

Espagne: «La monarchie: une institution caduque pour les jeunes»

[image:1,l]

JOL Press : A Madrid, plusieurs milliers de manifestants ont défilé à Madrid hier pour proclamer la fin de la monarchie : la tenue d’un référendum sur la République est-elle envisageable selon vous ? 
 

Mercedes Yusta : Cela me semble très peu probable. Les partis traditionnels (PP, droite, et PSOE, socialistes) ont manifesté très clairement leur appui au successeur de Juan Carlos, son fils Felipe. Etant donné que la succession sera votée au Parlement et que le « oui » est acquis par la répartition des sièges, il faudrait un mouvement de revendication très fort et constant et des pressions énormes provenant de la rue pour forcer le gouvernement à convoquer ce référendum.

En même temps, ces mêmes partis majoritaires au Parlement ont été assez largement désavoués lors des élections européennes, tout particulièrement le PSOE : pour celui-ci l’appui au processus de référendum pourrait être envisagé comme une façon de récupérer un électorat de gauche très déçu par l’immobilisme de l’appareil du parti. Mais cela fait très longtemps que le PSOE a abandonné toute velléité républicaine – depuis la Transition à la démocratie, en fait.

Par ailleurs, même si la revendication est forte dans la rue, ce n’est pas sûr que le débat sur la forme de l’Etat soit une priorité pour la majorité de la population, qui a des soucis plus urgents (le chômage, la crise, les expulsions pour impayés…). L’avènement d’une République n’apporterait pas une solution magique à ces problèmes structurels, même si personnellement je pense qu’il serait souhaitable, et un signal de maturité démocratique, que ce débat ait enfin lieu. Ce serait peut-être aussi une façon de régler, du même coup, la question territoriale catalane et basque, en envisageant un modèle fédéral.

JOL Press : Parmi les manifestants, de nombreux jeunes qui ne croient plus en la monarchie étaient présents. Voient-ils une responsabilité de la monarchie dans la crise qui ébranle le pays ?
 

Mercedes Yusta :  Pas de façon automatique, je pense : à mon avis, la monarchie est pour eux une institution caduque, qui n’a pas été à la hauteur depuis le début de la crise. La monarchie serait vue plutôt comme un frein au renouvellement politique dont l’Espagne a besoin. Car, plus que la monarchie en soi, c’est tout le système politique mis en place depuis la Transition qui est contesté en ce moment.

La République apparaît, dans ce contexte, comme une promesse de renouveau, un moyen de rapprocher à nouveau la politique du peuple et de « faire le ménage » dans une classe politique perçue presque comme une « caste » de profiteurs, éloignés des préoccupations des citoyens. La monarchie a été, pendant longtemps, le symbole du consensus de la classe politique espagnole, consensus sur lequel a pu être bâtie la démocratie ; elle apparaît aujourd’hui comme le symbole de la déchéance de cette démocratie telle qu’elle a été bâtie à partir de 1975. C’est l’épuisement de tout un système politique qui fait sortir les gens et remplit les places.

JOL Press : Après les différents scandales qui ont éclaboussé la famille royale, l’abdication de Juan Carlos pourra-t-elle « sauver la monarchie » selon vous ?
 

Mercedes Yusta : C’est probablement le but, au-delà du fait que Juan Carlos semble très fatigué en ce moment. Il perçoit, probablement, qu’il n’a plus les énergies nécessaires pour mener le travail de récupération de la confiance des citoyens qui serait nécessaire. En même temps, c’est risqué de partir juste en ce moment, où l’institution est plus contestée que jamais, et après des élections européennes où ont émergé des options clairement antimonarchistes. Il est devenu un lieu commun de dire que les Espagnols sont plus « juancarlistes » que monarchistes. Nous allons probablement pouvoir vérifier le bienfondé de cette affirmation !

Quitter la version mobile