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Football et religion: quand la foi s’invite sur le terrain

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(Crédit photo: Martinkay / Shutterstock.com)

30 juin 2002. Le soir de la finale de la 17ème Coupe du monde de football, remportée par le Brésil contre l’Allemagne, le joueur brésilien Kaká arbore un tee-shirt sur lequel est inscrit « I belong to Jesus » (« J’appartiens à Jésus »). À la fin du match, il s’agenouille et prie devant des millions de téléspectateurs, avec deux de ses coéquipiers, Edmilson et Lucio.

« Une forme de communion et de partage »

Les trois joueurs font partie de l’association évangélique brésilienne des « Athlètes du Christ ». Créée en 1984 et rejointe par des dizaines de stars du ballon rond, l’association se donne pour mission de « promouvoir par tous les moyens la proclamation de l’Évangile à travers le sport et les athlètes ». Certains joueurs reversent jusqu’à 10% de leur salaire à cette association.

Pourquoi une telle expression religieuse sur un terrain de jeu sportif ? « Le football est un sport où le collectif mène les hommes à une forme de communion et de partage qui peuvent soulever les passions et susciter l’adhésion et l’identification des supporteurs », expliquait il y a quelques mois Laurence Munoz, historienne du sport et maître de conférences à l’Université du littoral Côte d’Opale, au journal La Croix.

Ultra-médiatisé, le match de football est ainsi l’occasion, pour les joueurs, d’exprimer leur foi au grand public.

Un phénomène mondial

Si le Brésil connaît depuis quelques années une multiplication des mouvements évangéliques, attirant de plus en plus de fidèles parmi lesquels figurent de nombreux joueurs de football, le phénomène n’est pas propre au Brésil.

L’Argentin Lionel Messi, quadruple ballon d’or, lève régulièrement les doigts vers le ciel pour remercier Dieu et fais parfois le signe de croix sur le terrain. L’Uruguyen Edinson Cavani est aussi un fervent croyant, membre du mouvement pentecôtiste de l’Église évangélique, et prie avant chaque match.

Tout comme Franck Ribéry ou Sami Nasri, musulmans pratiquants, qui disent prier dans les vestiaires avant chaque rencontre. Le ghanéen Wasako Mubarak, lui aussi musulman, s’était fait remarquer – et sanctionner – en janvier 2013, après avoir arboré un tee-shirt « Allah is great ! » (« Dieu est grand ! ») lors d’un match contre le Mali.

Des manifestations souvent marginales et individuelles, mais qui questionnent sur l’analogie entre pratiques sportives et rites religieux. Léclairage de Denis Müller, professeur déthique et de théologie aux Universités de Genève et de Lausanne, auteur de l’ouvrage Le Football, ses dieux et ses démons, Éd. Labor et Fides (2008).

JOL Press : Historiquement, depuis quand les liens entre le football et la religion existent-ils ?
 

Denis Müller : C’est difficile de répondre à cette question car la date exacte de la naissance du football n’est pas si simple à établir. De toute façon, il n’y a pas de lien direct entre les deux. Au début du football moderne, en Angleterre notamment, les Églises ont néanmoins accompagné l’émergence et le développement du football. On le voit dans le fait que les équipes « bleues » étaient protestantes (Everton, Manchester City) alors que les « rouges » étaient catholiques (Liverpool, Manchester United), par exemple. Ces liens se sont progressivement distendus voire défaits.

La question est plutôt de savoir si le phénomène sportif en général, et le football en particulier, présente des analogies avec les pratiques et les rites de la religion. Là aussi, la réponse ne peut être que prudente. Les sociologues et les anthropologues du football ont pu montrer l’existence de corrélations. Le langage et l’attitude des supporters s’apparentent souvent à celui de la religion. Mais la comparaison a ses limites. Car la communion, dans le football, reste scindée en deux camps, même si l’on a pu dire que les spectateurs vibraient d’une commune passion pour la beauté du jeu.

JOL Press : Pourquoi le sport peut-il être propice à l’expression religieuse ?
 

Denis Müller : Il faut rappeler qu’il y a des formes multiples de sport, individuel et collectif. Dans le domaine individuel, certains sports semblent favoriser des aspects plutôt méditatifs (pensons à la concentration durant le marathon ou les courses de fond). Ce sont surtout les sports collectifs fortement mondialisés qui ont donné lieu à des analyses tendant à comparer le spectacle présenté à une manifestation politique ou à une pratique religieuse de masse.

JOL Press : Le rapport à la religion est-il plus important dans le football que dans d’autres pratiques sportives ?
 

Denis Müller : Sans doute, car le football a un caractère plus mondialisé et par conséquent plus exposé à l’expression de « transes » collectives.

JOL Press : Au Brésil, certains joueurs de foot comme Kaká affichent ouvertement leur foi pendant les matchs. Ce phénomène est-il propre au Brésil et plus largement, à l’Amérique latine ?
 

Denis Müller : Non, le phénomène n’est pas limité au Brésil, on a pu montrer des analogies dans toutes les parties de la planète, y compris sur terre catholique comme l’a analysé Christian Bromberger, dans Le match de football, pour les équipes de Marseille, Juventus Turin et Naples.

JOL Press : Les matchs sont vus par des millions de personnes. Pourquoi est-ce important pour les joueurs de football d’afficher leur religion ? En priant ou en effectuant des signes religieux sur le terrain, peut-on parler de prosélytisme ?
 

Denis Müller : Il ne fait pas de doute que le football « profite » de l’effet de marketing dû à sa popularité mondiale. En principe, les règles du jeu et leurs explicitations successives sont censées éviter des dérapages. Mais le problème n’est pas d’abord celui de la religion ou du prosélytisme : c’est celui de la publicité et des dimensions économiques du sport collectif de haut niveau.

Jusqu’ici, les manifestations religieuses dans les stades sont restées relativement marginales et liées aux individus. On n’a encore jamais vu une équipe ou un club adhérer en bloc à une croyance de type religieux. On connaît plutôt des exemples de complicité objective entre le football et la politique, par exemple dans la Hongrie communiste. Je ne dirais donc pas que les joueurs de football qui exhibent leur conviction religieuse, soit par un geste, soit sur un maillot « sauvage », font du prosélytisme.

Plus intéressante est à mon avis la problématique des gestes d’imitation religieuse utilisés par les sportifs. On voit de plus en plus des équipes former un cercle pour se concentrer, notamment avant les tirs au but. C’est un quelque sorte une forme de méditation séculière.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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