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François Hollande, un président peu curieux de l’activité de ses amis

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Le chef de l’Etat pouvait-il ignorer les marottes d’Aquilino Morelle ? (Photo: Shutterstock.com)

L’auteur lance un cri d’alerte : veut-on réellement éradiquer la corruption en France ? A la lumière des débats de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac, il y a tout lieu d’être pessimiste. Bien des personnalités auditionnées, ministres PS compris, continuent de louvoyer autour des esquifs en maniant langue de bois, non-dits et omissions.

Extrait de La République des imposteurs, de Gilles Gaetner (Éditions de l’Archipel – 2 juillet 2014).

 

Ce passé, pas si lointain, qui a vu des socialistes alpagués dans de sombres histoires financières, François Hollande se voit contraint de l’assumer. Certes, il n’a pas eu son Roger-Patrice Pelat. Mais il a fini lui aussi par avoir son boulet, de moindre diamètre, mais qui a fait fort mauvais effet en pleine tempête Cahuzac. Le boulet en question ? Un feu follet nommé Jean- Jacques Augier, ancien élève de l’Ena, membre de la promotion Voltaire comme le président de la République. Personnage brillant, le richissime Augier a été un temps le patron de la société G7 dirigée par André Rousselet, vieux compagnon de route de François Mitterrand – au même titre que Pelat ou Georges Dayan.

Augier a été le trésorier de campagne du candidat Hollande en mai 2012. En plein scandale Cahuzac, on apprend par Mediapart que l’ancien condisciple de Hollande, dans le cadre de son activité professionnelle en Chine, disposait de comptes offshore dans des paradis fiscaux. Embarrassant, car qui dit compte off shore sous-entend suspicion de fraude. Heureusement, Jean-Jacques Augier parviendra à convaincre que ces comptes étaient déclarés au fisc français. Ouf ! Certes, Hollande n’a pas commis de faute. Comment pourrait-il être tenu responsable du train de vie, des agissements de ses amis ? Mais lorsque le nom d’Augier, ami intime, est étalé en place publique, on découvre que le président ignore tout des activités professionnelles de son trésorier de campagne.

[image:2,s]Surprenant ? Pas vraiment. Le caractère de Hollande est ainsi fait qu’il ne se soucie guère des différentes activités de ses collaborateurs. Un manque de curiosité qui peut lui jouer des tours, quitte à déboucher sur un scandale. L’affaire Aquilino Morelle est révélatrice de cette espèce de nonchalance. Le chef de l’État ne pouvait ignorer les marottes de ce « petit marquis », sobriquet dont l’affuble Mediapart, qui se faisait cirer ses souliers dans une annexe de l’Élysée. Ce que tout le personnel ou presque savait, de la secrétaire aux conseillers les plus proches du président… qui n’a rien vu. Ou rien voulu voir. C’est ainsi que l’immoralité, agrémentée de révélations plus encombrantes, s’est invitée au plus haut sommet de l’État. Voici que, le 17 avril 2014, un nouveau scandale atteint le pouvoir socialiste. Aquilino Morelle, cinquante-trois ans, conseiller du président de la République et proche de Manuel Valls, est soupçonné d’avoir conseillé en 2007 le laboratoire pharmaceutique danois Lundbeck – moyennant 12 500 euros –, alors qu’il se trouvait en fonction à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et comptait, parmi ses attributions, le contrôle de l’industrie pharmaceutique. Une confusion des genres, si elle est avérée, qui porte un nom : conflit d’intérêts. Le Dr Morelle – ancien interne des hôpitaux et énarque promotion Condorcet – est formel : il n’a commis aucune faute, puisqu’il avait sollicité et obtenu du patron de l’Igas l’autorisation de faire ce « ménage ». Lequel dément. Toujours est-il que, le lendemain des révélations de Mediapart, Morelle n’avait plus guère de choix que de démissionner. Ce qu’il a fait, après un entretien houleux avec François Hollande.

Du côté de Matignon, Manuel Valls, malgré les relations très amicales qu’il entretenait avec Aquilino Morelle, n’a pas tenté d’opération de sauvetage. Trop risqué. D’autant que, chez les députés socialistes, on ne s’est pas privé de dire tout le mal que l’on pensait du conseiller du prince. Le nouveau premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, ne s’en est pas caché derrière son doigt : Morelle devait partir. En quelques mois de présence à l’Élysée, la plume de Hollande, jadis celle de Lionel Jospin, en avait exaspéré plus d’un. À commencer par l’ancien secrétaire général, Pierre-René Lemas, avec qui ses rapports étaient exécrables. Il est vrai que le « petit marquis » aura tout fait pour se mettre à dos le personnel de la présidence, tant était grand son appétit de pouvoir. D’abord en supplantant Claude Sérillon, le conseiller en communication du chef de l’État ; puis en s’autoproclamant représentant de l’Élysée lors des petits-déjeuners de la majorité à Matignon, ce que n’appréciait guère Jean-Marc Ayrault, persuadé que Morelle faisait le siège d’Hollande pour l’éjecter et le remplacer par Manuel Valls.

En quelques mois, Morelle, « arrogant, hâbleur, vaniteux, transgressif, manipulateur, hautain », a fait plus d’un jaloux à l’Élysée tout en suscitant des moqueries à peine voilées à propos d’une de ses manies : celle de faire venir périodiquement à l’Hôtel Marigny, dans une salle spécialement réservée à cet effet, un cireur de chaussures pour lustrer ses souliers de marque, tous réalisées à façon… Symbole destructeur aux yeux de l’opinion, lorsqu’on sait qu’Aquilino Morelle ne mégotait pas sur les vins fins provenant de la cave de l’Élysée, pas plus qu’il ne se gênait pour utiliser sans modération les voitures de la présidence.

Étrange personnage que ce surdoué de la République, fils d’immigré espagnol, nourri au goût de l’effort et du respect de l’autre… S’il fustige en effet « les élites parisiennes conformistes qui vivent dans l’impunité », il n’en apparaît pas moins aux yeux du public comme un profiteur. Dans le milieu de la santé, tout le monde se souvient qu’il n’eut pas de mots assez durs, dans un rapport de l’Igas, pour dénoncer l’affaire du Mediator… alors qu’il avait des relations personnelles avec le danois Lundbeck. La transparence était un dogme pour l’ex-conseiller de Hollande. En réalité, du bidon ! Du Tartuffe grandeur nature ! Avec le recul, on est estomaqué d’entendre les propos qu’il tenait sur France Info, le 11 juin 2011 : « Il faut que chacun soit au clair avec lui-même et avec les autres. Il n’y a pas d’interdiction d’avoir un rapport avec l’industrie pharmaceutique pour un médecin. Ça peut se comprendre. Ce qui est obligatoire, c’est de rendre public cela. Il faut que ces contacts soient publics. Quand vous publiez vos relations, vous êtes transparent et chacun peut regarder […] s’il n’y a pas quelque chose qui peut poser un problème en termes d’indépendance. C’est juste ça, mais c’est énorme. Si l’on a un rapport avec l’industrie pharmaceutique, il faut que tout le monde le sache. On aboutit à des situations où les experts sont parties prenantes, juge et partie. Il faut en finir avec ça. »

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Rédacteur en chef adjoint de L’Express de 1986 à 2009, puis de Valeurs actuelles, Gilles Gaetner est journaliste d’investigation pour le site Atlantico.fr. Il est notamment l’auteur de «Règlements de comptes pour l’Élysée» (Oh !, 2006), «L’Art de retourner sa veste» (Le Rocher, 2007) et «La Corruption en France» (Bourin, 2012).

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