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Intervention de la CEDH au niveau national: quelle légitimité?

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La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), basée à Strasbourg, veille au respect de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Photo: dominicdoyle/Flicktr)

JOL Press : Comment un citoyen peut-il saisir  la Cour européenne des Droits de l’Homme ?

Aurélien Raccah: La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée dans le cadre du Conseil de l’Europe. 47 Etats en Europe en font partie, les membres de ces Etats peuvent soumettre leurs conflits auprès de la CEDH. Pour saisir la CEDH il faut la réunion de plusieurs conditions.

La plus importante étant l’épuisement des voies de recours au niveau national. Dans le cadre de l’affaire Lambert, la famille était obligée de se diriger vers les juridictions administratives (Tribunal Administratif, Cour Administrative d’Appel puis Conseil d’Etat). Une fois le Conseil d’Etat prononcé, on peut donc saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme.

JOL Press : Par quelle procédure la Cour européenne des Droits de l’Homme a-t-elle pu s’exprimer aussi rapidement sur le cas Vincent Lambert ?

Aurélien Raccah: Dans l’affaire Lambert, la CEDH a été saisie par une procédure dite « d’urgence » extrêmement rare. Peu développée par la CEDH, elle permet, d’une manière qui ressemble à celle du référé au niveau national, quand la situation l’exige, la prise de mesures conservatoires et provisoires.

JOL Press: Les Britanniques s’interrogent beaucoup sur la légitimité qu’a l’Europe à interférer au niveau national. Comment expliquer qu’en France cette intervention soit aussi peu contestée dans des affaires pourtant médiatisées ?

 

Aurélien Raccah: Cela dépend de la culture britannique, sceptique à l’égard d’une certaine ingérence au niveau européen des matières qui relèvent du niveau national. Pourtant, au niveau de la légalité, il n’y a pas de différence entre la France et le Royaume Uni, tous deux font partie du Conseil de l’Europe.

Dans les deux cas il n’y a pas de remise en question de la compétence de la CEDH. Il faut distinguer la conception politique qui reste  libre de s’exprimer et l’application juridictionnelle qui, sur ce point, ne peut être remise en cause. Les décisions prises sont exécutoires sur le territoire national. La seule possibilité de s’y opposer est de sortir de l’organisation internationale. Sur ce point, chaque Etat est libre.

JOL Press : Pensez-vous qu’une intervention grandissante de la CEDH pourrait accroître l’euroscepticisme en France?

Aurélien Raccah: L’Affaire Lambert n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de l’euroscepticisme. Il convient cependant de bien distinguer le Conseil européen et l’Union européenne. Beaucoup de citoyens ne voient pas cette distinction. Pourtant, ils sont politiquement et juridictionnellement complètement différents.

Mon opinion personnelle est de croire qu’un développement des droits de l’Homme sur tous les points, même les plus sensibles, doit être résolu de la même manière dans tous les pays de l’Union européenne. C’est d’ailleurs le but du Conseil de l’Europe.

Si on prend d’autres exemples qui ont pu faire débat dans le passé, l’interdiction de la peine de mort fait l’objet d’un protocole à la CEDH, qui a été difficile à faire passer dans certains Etats. Maintenant les 47 Etats de l’Union européenne l’ont abolie. Au niveau international, nous sommes une zone d’exception.

Ce qui pose problème, c’est que la CEDH est une Cour qui vient se prononcer là où une assemblée politique devrait agir. Mais quand il y a un besoin de protéger l’Humain là où le législateur n’a pas agi, il y a toujours des conflits démocratiques. On n’a pas trouvé de consensus social sur ce point. Pourtant, c’est bien le rôle des juridictions de combler les lacunes juridiques quand un problème intervient. Elle est compétente juridiquement. Après, il appartient au législateur national ou européen de se mettre d’accord en retirant cette compétence précise à l’Union européenne. 

Aujourd’hui, les différentes conventions donnent une compétence quasi illimitée à la Cour européenne des Droits de l’Homme. L’Affaire Lambert rentre parfaitement dans sa compétence.

JOL Press : Pensez-vous qu’en France, les citoyens soient assez informés du rôle des institutions européennes, en particulier de celui de la CEDH ?

Aurélien Raccah: La question pour moi serait « est-ce que les politiques communiquent correctement ?».

Il y a un premier rôle que l’Etat ne remplit pas suffisamment, c’est l’éducation. Il faut d’abord que nos populations comprennent les organisations internationales dans lesquelles on s’inscrit, et la philosophie européenne. Il faut expliquer ce qu’est la politique du consensus, le transfert de compétences, et notre participation à l’élaboration de nouvelles normes. C’est nécessaire pour comprendre l’Europe. Ainsi il y a une part des décisions qui échappent naturellement au contrôle national.

Ensuite, concernant la communication, il est évident que la plupart des échéances électorales sont basées sur un électorat national, les enjeux européens sont détournés par des scrutins nationaux. Tant que les politiques ne développeront pas des conceptions homogènes on aura forcément une récupération des politiques européennes pas les politiques nationales. Cela reste néfaste pour une communication efficace.

Propos recueillis par Valérie Choplin pour JOL Press

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Aurélien Raccah est avocat en droit international, Enseignant-chercheur, Assesseur chargé du développement international de la Faculté Libre de Droit et Directeur de l’International and European Law School.

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