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La Chine malade de ses exportations

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Confronté à plusieurs limites, le modèle économique chinois va devoir se transformer (Photo: Shutterstock.com)

En rappelant qu’historiquement ce pays a davantage été enclin à des changements brusques plutôt qu’à des évolutions progressives, ce livre pose la grande question économique de ce siècle : «le modèle chinois est-il vraiment pérenne ?»

Extrait de Chine: Colosse aux pieds d’argile, de Dominique Jolly (Editions Maxima – 5 juin 2014).

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Si vous allez aux États-Unis, entrez dans un magasin d’habillement au hasard et cherchez un produit (chemise, maillot, slip, chaussette, chaussures de sport, etc.) qui n’ait pas été confectionné en Chine. Pas facile ! Rentrez dans n’importe quel grand magasin (Best Buy ou autre) et cherchez de l’électronique, des casseroles, de la vaisselle, un vélo, un jouet qui n’ait pas été fabriqué en Chine. Dur, dur ! Ce genre d’exercice (où l’on a plus de 99 % de chances de tomber sur un produit manufacturé en Chine avec les jouets ou les bicyclettes) est la preuve la plus tangible qu’on puisse trouver du déficit des échanges commerciaux nord-américains avec la Chine.

Ce déficit qui se comptait en milliards de dollars dans les années 1990, se compte maintenant en centaines de milliards. Cinq cents milliards de dollars en 2011 ! Soit 1 700 dollars par Américain sur un an ! Notez bien que si l’Europe n’est pas dans une situation aussi catastrophique que les États-Unis, elle accuse aussi un déficit avec la Chine : 290 milliards d’importations contre 144 milliards d’exportations en 2012. Le développement du commerce bilatéral, cela fait l’affaire des deux côtés tant que l’équilibre peut être préservé. C’est quand le déficit est durable que les choses se compliquent.

[image:2,s] Face à cela, et à la perte d’emplois industriels à laquelle nous assistons chez nous et ailleurs depuis des années, les politiques de tout bord s’agitent avec des discours sur le thème de la relocalisation. Le Parti communiste français nous avait chanté le couplet du «Consommez Français». Christian Estrosi, lorsqu’il était ministre de l’Industrie, avait sillonné la France pour convaincre les industriels de l’impérieuse nécessité de maintenir leur production sur notre territoire et de relocaliser des activités qui avaient été transférées à l’étranger.

François Bayrou nous a fait, pendant la campagne présidentielle, le coup du «Produire en France». Arnaud Montebourg et son «Redressement productif» est aujourd’hui aux commandes dans cette même logique de ré-industrialisation. Si tous les politiques de chez nous défendent ce même créneau, les risques de guerre froide existent et les difficultés pourraient bien nous amener un jour à la résistance des peuples.

Dans ce contexte, les risques de guerre commerciale existent. On l’a vu avec les exportations chinoises de chaussures, de pneus, d’acier, etc. On l’a vu plus récemment avec la filière solaire. Ainsi, les coups de griffe répétés entre la Chine et l’Europe autour de dossiers comme les panneaux photovoltaïques témoignent d’une tension qui monte. Les industriels chinois produisant des panneaux photovoltaïques, aidés par leur gouvernement (prêts publics avantageux et mètres carrés gratuits pour construire des usines), ont peu à peu pris 65 % de la production mondiale pendant que les Européens et les Nord-Américains perdaient du terrain. Ces seuls panneaux représentent vingt milliards d’euros d’importations en Europe.

Combien de temps cela peut-il encore durer ? Les marchés internationaux perdent de leur capacité d’absorption des produits chinois. Les États-Unis et l’Europe vont devoir à un moment corriger le tir. Ils ne peuvent rester durablement avec un commerce extérieur déficitaire. Mais, de son côté, la Chine ne peut pas découpler son économie de celle des USA ou de l’Europe. Ces derniers peuvent certes booster leurs exportations s’ils parviennent à retrouver de la compétitivité. Pour la France, ce ne sera pas avec le cognac qui est déjà exporté à 97,5 %. Et sans doute pas non plus avec les panneaux photovoltaïques.

Mais ils peuvent aussi plus banalement réduire leurs importations. Reste à savoir si les Européens et les Américains pourraient se passer de ces importations chinoises à bas coûts ? La Chine a contribué à une désinflation mondiale pour des produits comme les ordinateurs, les lecteurs DVD et les appareils électroménagers, et les consommateurs des pays développés se sont très largement accoutumés à cet état de fait. Peuvent-ils se désintoxiquer ? Cela demandera sans doute du temps.

Les ajustements ne se font parfois pas dans la dentelle – comme on le voit en Grèce, en Espagne ou au Portugal où les gens perdent leur emploi, les jeunes connaissent des taux de chômage à 50 %, l’immobilier s’effondre, la couverture maladie se réduit comme peau de chagrin, etc. Les vents contraires sont là. Ces pays sont moins enclins à importer des produits chinois. Mais la Grèce ou le Portugal ne totalisent que quelques dizaines de millions d’habitants et la réduction de leurs importations n’a pas un impact majeur sur la Chine.

Que se passerait-il dans les usines chinoises si l’on devait avoir une baisse brutale de la demande nord-américaine dont la population dépasse les trois cents millions ? Toute cette machine industrielle le prendrait de plein fouet. L’atterrissage brutal a jusqu’à présent été évité, mais l’équation chinoise devient plus complexe.

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Dominique Jolly est professeur de stratégie d’entreprise à SKEMA Business School (Sophia Antipolis, France). Il est aussi visiting professor à la prestigieuse CEIBS (China Europe Internationale Business School) de Shanghai. Grand connaisseur de la Chine où il se rend régulièrement depuis plus de quinze ans, il conseille des entreprises européennes sur leur stratégie chinoise.

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