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«Les Espagnols ne sont ni monarchistes ni républicains»

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JOL Press : Felipe VI peut-il réconcilier les Espagnols avec l’image de la monarchie ?  
 

Bernard Bessières : Les dernières années du règne de Juan Carlos ont été assez déplorables. Juan Carlos a fait des erreurs, qu’il s’agisse du scandale de la chasse à l’éléphant ou de sa vie privée. Aujourd’hui, il est physiquement incapable d’être roi, il ne peut plus se tenir debout. Mais le plus gros scandale qui entoure son règne concerne sa fille et son gendre mis en examen pour des affaires de détournement d’argent public.  

Les Espagnols ne sont ni monarchistes ni républicains. Il faut savoir que ce débat n’est pas vraiment une passion en Espagne. Le Roi a été apprécié tant qu’il incarnait le passage de la dictature à la démocratie : de 1975 à 2000, il a été un excellent roi. Mais les choses se sont ensuite gâtées… L’idéal pour lui aurait été qu’il abdique en 2005.

JOL Press : En retardant son abdication, Juan Carlos a-t-il rendu la tâche plus difficile pour Felipe VI  ?
 

Bernard Bessières : Oui, je pense qu’en repoussant à l’extrême son abdication, Juan Carlos a compliqué le travail de son fils. Mais Felipe VI n’y est pour rien dans ces scandales: c’est un garçon très sérieux, très rigoureux, apprécié, qui sera remonté la pente. Il a également une très bonne formation universitaire et militaire. Il s’affiche comme un roi nouveau, un roi jeune, qui va fonctionner sur des valeurs différentes.

JOL Press : Un référendum citoyen, sans valeur juridique, pour réclamer la fin de la monarchie a mobilisé des milliers d’Espagnols cette semaine. Quel serait le résultat du référendum s’il avait lieu aujourd’hui ?
 

Bernard Bessières : C’est toujours impressionnant de voir 10 à 15 000 Madrilènes rassemblés sur la Puerta del Sol à Madrid, mais il s’agit surtout de la mobilisation de tous les collectifs antimonarchistes – qui ont toute légitimité à l’être – mais je crois que c’est un effet grossissant, et non un phénomène massif. Je suis persuadé que si un référendum avait lieu aujourd’hui, entre 60 et 70% les Espagnols se déclareraient favorables à la monarchie.

Seulement deux partis politiques sont anti-monarchistes : la Izquierda unida et un parti catalan qui se définit comme républicain. L’opinion populaire sur la famille royale, notamment sur l’action du roi, récoltait une note de 7,5/10 qui est ensuite descendue à 3,5 quelques semaines avant l’abdication de Juan Carlos. Les Espagnols ne sont pas gênés par la monarchie, mais pour la gauche c’est très dérangeant d’accepter un roi.  

JOL Press : Les Espagnols imputent-ils à la monarchie la responsabilité de la crise qui ébranle le pays ?
 

Bernard Bessières : En Espagne, comme en Europe, les rois n’ont aucun pouvoir exécutif : ils n’interviennent jamais en politique. Il n’y a pas de relation de cause à effet entre la monarchie et la crise. C’est à la classe politique de lutter contre la crise, que l’on soit dans une monarchie ou une république.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Bernard Bessières est Professeur des Universités à Aix-Marseille. Il a co-écrit l’ouvrage « Espagne : histoire, société, culture » (Editions La Découverte)

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