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Pourquoi le Royaume-Uni s’oppose à la nomination de Jean-Claude Juncker

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[image:1,I]David Cameron et le Président du Conseil Européen Herman Van Rompuy en 2011(Photo:PresidentoftheEuropeaCouncil/Flickr)

JOL Press: Le Premier ministre britannique se dit favorable à une « Europe réformée ». Quelle est sa vision de l’Europe ?
 

Anne Elisabeth Moutet : David Cameron a une conception de l’Europe qui n’est pas très éloignée de celle que Nicolas Sarkozy a exprimé dans le magazine « Le Point » quelques jours plus tôt: il s’agit de réduire les attributions de la Commission et des administrations européennes et notamment celles qui entrent dans la vie quotidienne des citoyens. Par exemple, la courbe des bananes ou l’utilisation des bouteilles d’huile d’olive dans les restaurants. Toutes ces choses, qui sont considérées rentrer dans les attributions des autorités européennes amènent les Européens à se demander qui sont ces gens qui régulent leur vie et pourquoi s’occupent-ils de tout ce qu’ils font dans leur vie personnelle. Cela a notamment pour effet de mener au vote populiste.

David Cameron, quant à lui, veut recentrer l’Europe autour des choses qu’il juge importantes et dont les européens ont vraiment besoin. Il souhaite aussi réviser la façon dont les dirigeants européens sont désignés. Ce qui a été très choquant pour une partie des Britanniques était que le nom de Jean-Claude Juncker soit sorti parce qu’il a été choisi par des apparachites sans avoir été désigné par qui que ce soit électoralement. C’est pourquoi le Royaume-Uni, qui n’a nullement eu besoin de l’Europe pour conforter sa démocratie, conteste évidemment le caractère arbitraire de cette nomination.

JOL Press: Des dirigeants conservateurs européens et britanniques ont apporté leur soutien à Jean-Claude Juncker. Craignez-vous que David Cameron s’isole de plus en plus politiquement?
 

Anne Elisabeth Moutet: Il parait évident que certains conservateurs, surtout européens, sont favorables à cette nomination prise derrière porte close et considèrent que David Cameron s’isole.

D’un autre côté, le moins que l’on puisse dire, c’est que se rendre à un « mini-sommet »  en Suède avec des représentants des partis conservateurs européens sans en savoir le résultat traduit une absence de préparation politique.

JOL Press: David Cameron considère que ce sont les chefs du gouvernement qui doivent présenter le candidat au vote du parlement européen et soutient se battre pour «l’intérêt européen ». Se cache-t-il derrière cette affirmation pour faire prévaloir les intérêts britanniques ?
 

Anne Elisabeth Moutet : Tout le monde, y compris la France, défend ses intérêts en Europe et c’est normal. Juste un exemple : on a une politique agricole qui a été dessinée par des Français dans les années 60 et qui sert les intérêts de la France. David Cameron est en droit de défendre les intérêts britanniques. Au même moment, Angela Merkel défend elle aussi les intérêts allemands. Il ne faut pas faire de l’angélisme parce que David Cameron défend les intérêts de son pays, c’est ce qu’attend son électorat.

Mais il s’inquiète aussi des intérêts de l’Europe, car il faut se demander pourquoi presque 1/3 des populations européennes ont voté pour des partis anti-européens. Si l’on sert une nouvelle fois la même politique aux Européens il est évident que Marine Le Pen arrive en tête en France.

JOL Press: Certains médias affirment que le Premier ministre profitera de cette nomination pour mettre ses menaces à exécution et retirer le Royaume-Uni de l’Union Européenne. Qu’en pensez-vous ?
 

Anne Elisabeth Moutet : Un retrait total du Royaume-Uni me parait difficile. Une renégociation, qui arrivera un jour ou l’autre, et mettrait en place une association plus « lointaine » n’est pas à exclure. Le statut « nous faisons, vous vous taisez » est absolument intolérable pour les Britanniques mais on s’en rendra également compte en France. En tout état de cause, il me semble difficile d’imaginer la City cesser d’être la place financière européenne qu’elle est aujourd’hui.

D’autre part, il ne faut pas oublier que David Cameron a une élection l’an prochain, et son électorat lui a fait comprendre qu’il n’acceptera pas ce que leur impose l’Union européenne.

Pour conclure, il faut bien garder à la mémoire que le Royaume-Uni a créé la Magna Carta et l’Abeas Corpus il y a quasiment un millénaire, le pays considère donc que les leçons de démocratie de l’Europe ne lui sont d’aucune utilité.

Propos recueillis par Valerie Choplin pour JOL Press

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Anne-Elisabeth Moutet est journaliste et critique politique pour les journaux britanniques the Telegraph et américains the Weekly Standard. Elle intervient régulièrement sur les chaines France 24, BFM TV ou BBC

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