Site icon La Revue Internationale

Services pour l’emploi: «un peu de changement, beaucoup de continuité»

[image:1,l]

Quels sont les différents services pour l’emploi qui existent en France ? – Photo DR Shutterstock

JOL Press : Que recouvre pratiquement la notion abstraite de politique de l’emploi ?
 

Yannick L’Horty: L’arsenal des mesures en faveur de l’emploi s’est considérablement développé depuis le début des années soixante-dix. Aux dispositifs ciblés sur certaines catégories particulières de demandeurs d’emploi, les chômeurs de longue durée, les travailleurs âgés, les peu qualifiés, … se sont ajoutés dans les années 1990 des mesures générales de réduction du coût du travail par le biais principalement d’exonérations de cotisations sociales, qui sont progressivement montées en puissance.

Les politiques de l’emploi comprennent désormais de multiples dispositifs d’exonérations de prélèvements sociaux, de nombreuses formules de contrats de travail aidés, des mesures de formation et d’accompagnement des personnes. Au total, ce sont plus de 80 dispositifs nationaux. On y inclut l’indemnisation du chômage et le coût du RSA.

JOL Press : Est-ce qu’il y a eu un changement depuis l’arrivée de François Hollande au gouvernement ou bien observe-t-on une certaine continuité dans la politique pour l’emploi dans notre pays ?
 

Yannick L’Horty: Un peu de changement, beaucoup de continuité. Il y a eu des nouvelles mesures, les emplois d’avenir, les contrats de générations et le crédit d’impôt compétitivité emploi.  Il y a eu également une relance du dialogue social qui s’est traduite par des accords nationaux interprofessionnels. Mais l’essentiel de l’édifice, dont les exonérations générales forment la clef de voûte, est demeuré intact. Alors que depuis l’entrée en crise le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de plus de 60 %, on n’a pas assisté à une remise en question radicale de l’architecture des politiques de l’emploi.   

JOL Press :  Quels sont les différents services pour l’emploi ?
 

Yannick L’Horty: Plusieurs acteurs ont en charge l’accompagnement des demandeurs d’emploi et forment le service public pour l’emploi qui existe à la fois au niveau national et au niveau local. Parmi eux, il y a les services déconcentrés de l’Etat, qui sont les DIRECCTE, bien connues des  employeurs. Il y a aussi Pôle Emploi et son réseau d’agences locales. Les maisons de l’emploi assument également des missions du service public de l’emploi. Certains acteurs ont en charge des publics spécifiques. Les Missions locales accompagnent les jeunes en difficulté d’insertion. Cap emploi suit les personnes handicapées. Il y a aussi des acteurs en charge de questions spécifiques. L’AFPA s’occupe de la formation professionnelle des adultes, l’UNEDIC a en charge l’indemnisation du chômage. La diversité des acteurs et des missions posent des problèmes de coordination

JOL Press : Les emplois aidés sont-ils une spécificité française en Europe ?
 

Yannick L’Horty: Il existe un grand nombre de formules d’emplois aidés qui combinent dans des proportions variées trois ingrédients : des subventions monétaires données aux employeurs, le plus souvent sous la forme d’exonérations de cotisations sociales, des dispositifs de formations destinées aux personnes aidées, des mesures dérogatoires au droit commun en matière de contrat de travail afin de faciliter les embauches.

A ma connaissance, il existe des formules de contrats aidés dans tous les pays, dans les secteurs marchands comme dans les secteurs non marchands. La spécificité de la France n’est pas dans l’existence des contrats aidés mais dans le volume de contrat aidés qui se chiffre en centaines de milliers et dans la quantité de dispositifs différents, peut-être aussi dans l’instabilité de ces dispositifs qui ont une durée de vie généralement assez courte, mais il n’existe pas d’étude comparative sur ce thème.

JOL Press : Quels est le coût des services pour l’emploi ? Comment se situe la France par rapport à nos voisins européens ?
 

Yannick L’Horty: L’ensemble des dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail représente en France un effort total de 105 Mds d’€, soit plus de 5 points de PIB. Les comparaisons européennes sont délicates tant les systèmes nationaux sont différents. Selon les travaux d’Eurostat, la France est le deuxième pays d’Europe en masse budgétaire, derrière l’Allemagne, ce qui reflète avant tout la taille des marchés du travail. 

JOL Press : Pensez-vous que la quantité de formules entrainent une perte de lisibilité ?
 

Yannick L’Horty: Oui, sans aucun doute. L’empilement d’un grand nombre de dispositifs instables n’est pas un gage d’efficacité. Plus il y a de mesures, plus il est compliqué pour les employeurs de s’y retrouver et moins les mesures sont connues et efficaces. La durée de vie des mesures est aussi un élément important. Il est essentiel pour les employeurs d’agir dans un cadre stable. Il y a un lien fort entre l’illisibilité, l’instabilité et l‘inefficacité. Cela pose la question du mode de production des politiques publiques qui ne sont pas toujours conçues pour durer. Mais il s’agit d’un problème plus général, parce que bien d’autres domaines que celui de l’emploi sont concernés.

JOL Press : La fraude est-elle importante en ce qui concerne les services pour l’emploi ?
 

Yannick L’Horty: Il y a fraude et fraude. Il faut distinguer les erreurs de déclarations suite par exemple à un changement de situation, et les fraudes caractérisées qui sont le fait de réseaux organisés. Les trop rares éléments dont on dispose sur les fraudes sociales, celle des entreprises qui ne payent pas l’intégralité de leurs prélèvements sociaux et celle des personnes aidées qui ne satisfont pas leurs obligations déclaratives, laissent à penser que les fraudes organisées représentent une infime partie de l’ensemble des flux financiers de l’assurance chômage ou des prestations de solidarité. Cela concerne un tout petit nombre de cas. Ils sont parfois spectaculaires mais les montants restent faibles relativement à l’ensemble des masses financières en jeu.

————————-

Yannick L’Horty, économiste, professeur à l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée, directeur de recherche au CNRS, auteur de l’ouvrage  « Les nouvelles politiques de l’emploi » (Editions La Découverte).

Quitter la version mobile