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Terrorisme en Afrique: une progression fulgurante depuis cinq ans

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JOL Press : La menace terroriste était au cœur du sommet de l’Union africaine. Est-ce la première fois que les membres de l’Union africaine souhaitent adopter une stratégie globale face à cette menace ?
 

Roland Marchal : Il y a déjà eu d’autres réunions, notamment en décembre 2013 et lors du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, qui a eu à traiter du cas du terrorisme en Somalie. Cependant, ce qui est frappant, c’est plutôt le fait que ce sommet, qui aurait dû être consacré à d’autres sujets, est consacré au terrorisme, après un silence assourdissant de l’Union africaine sur la question nigériane.

Rappelons que lorsque les 200 jeunes filles ont été enlevées par Boko Haram au Nigeria, l’UA est restée absolument muette. On peut y voir à la fois le résultat des relations compliquées entre la présidente sud-africaine de l’UA et le Nigeria, et en même temps le fait qu’il y a peut-être eu une sous-estimation cardinale de ce problème au sein de la direction de l’UA.

Je pense que l’UA veut désormais se ressaisir, montrer qu’elle existe, que le dossier du terrorisme est le sien et qu’elle est la plus légitime à parler dessus. À part cela, il n’y a pas grand-chose à espérer de ce sommet.

JOL Press : Le risque terroriste lié à l’islamisme radical est-il réellement plus important en Afrique qu’il y a une dizaine d’années ?
 

Roland Marchal : Oui bien sûr. En 2006, le groupe Al Shebab [groupe islamiste somalien] était encore très confus sur ses intentions. C’était vraiment une fraction radicale des salafistes somaliens, qui avait des liens avec Al-Qaïda. Le GSPC [Groupe salafiste pour la prédication et le combat] était un groupe qui « vivotait » et sa transformation en AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) était plus une volonté de faire parler de lui, mais cela ne signifiait pas de réelle transformation ou d’ancrage beaucoup plus fort dans cette partie de l’Afrique.

Boko Haram n’existait pas : il aura fallu attendre 2009 et l’exécution du chef de Boko Haram pour que le mouvement passe dans la clandestinité et ré-émerge ensuite en un mouvement ultra violent. Si les forces de l’ordre nigérianes avaient fait leur travail correctement, cela ne se serait sans doute jamais produit. En République démocratique du Congo par contre, il y a eu un conflit extrêmement meurtrier sans que l’islam ne soit jamais impliqué de quelque manière que ce soit.

La question du jihadisme depuis dix ans, et singulièrement depuis ces cinq dernières années, a progressé de manière fulgurante. Encore une fois, je crois qu’il est important de souligner que les politiques occidentales sont aussi responsables de cela. Ce n’est pas simplement une radicalisation dans les communautés musulmanes. C’est aussi une radicalisation des politiques occidentales, extrêmement brutales, apolitiques et très sécuritaires.

JOL Press : Mali, Soudan, Somalie, Nigeria, Libye… Les groupes terroristes présents dans ces pays sont différents, mais leurs revendications sont-elles les mêmes ?
 

Roland Marchal : J’ai toujours l’habitude de citer George Kennan, ambassadeur à Moscou en 1946-47, qui a été un des théoriciens du containment du communisme. Il avait une expression qui résume bien les choses : « les partis communistes sont tous les mêmes, (c’est-à-dire tous construits sur la même matrice soviétique), et en même temps ils sont complètement différents les uns des autres. Il faut donc arriver à penser cette différence ».

Un des grands problèmes que l’on a avec les groupes jihadistes armés, c’est qu’on les identifie et on les classe à partir du discours qu’ils tiennent, notamment sur internet. Or une organisation armée est un acteur collectif dans une (ou des) société(s) donnée(s). Si on les regarde comme des objets sociaux, ils sont donc très différents les uns des autres.

Ils peuvent avoir la même idéologie, mais ils ne la mettent pas du tout en œuvre de la même manière, avec la même brutalité ou coercition, et ils peuvent faire des alliances sociales plus ou moins larges selon les mouvements et les moments. Ces groupes sont différents et fonctionnent aussi parce qu’il y a une certaine configuration de la politique et de l’organisation sociale.

Si l’on veut s’attaquer à eux, il ne faudra pas le faire simplement avec des drones ou l’envoi de forces spéciales, mais aussi en retrouvant, dans le fonctionnement politique ou sociologique, des points d’ancrage pour les défaire. Or aujourd’hui, on assiste surtout à une politique occidentale qui cherche avant tout des cibles à exécuter.

JOL Press : Pourquoi les États africains ne parviennent-ils pas à lutter efficacement contre le terrorisme ?
 

Roland Marchal : Ils sont victimes de ce mimétisme. L’Éthiopie par exemple a une politique qui consiste à dire que les opposants sont des terroristes, et qu’on ne peut discuter avec les terroristes sur lesquels il faut donc tirer. Si le pays ne compte pas ses morts et n’a pas de pression internationale, cette stratégie peut marcher pendant un certain temps. L’Éthiopie, en 2007, a décidé d’arrêter toute aide humanitaire pour affaiblir les groupes armés qualifiés de terroristes par le gouvernement d’Addis-Abeba, et il n’y a pas eu de protestation de la part des occidentaux.

Le Kenya pense aussi que la méthode consiste à taper très fort, même s’il y a des dommages collatéraux. Les États-Unis, qui ont adopté cette politique en Somalie, estiment que ce n’est pas la solution au Kenya. En même temps, le Kenya n’est pas un Etat faible : s’il décide de faire quelque chose, il assez difficile de l’arrêter. Rappelons que la direction kényane est incriminée à La Haye et que la presse internationale, à chaque fois qu’un article est écrit sur le Kenya, ne se sent pas obligée de le rappeler… Cela peut donner l’impression à ces gouvernements qu’ils ont beaucoup plus de marge de manœuvre.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Roland Marchal est un politologue spécialiste de l’Afrique, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI/CNRS/Sciences Po).

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