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Tourisme sexuel: «La Coupe du monde accroît la vulnérabilité des enfants»

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JOL Press : Combien d’enfants sont concernés par l’exploitation sexuelle au Brésil ?
 

Anna Flora Werneck : Malheureusement, il n’existe pas de chiffres officiels ou de recherches fiables qui nous donnent un chiffre exact du nombre d’enfants victimes d’exploitation sexuelle aujourd’hui au Brésil. Toutefois, le « numéro vert » gouvernemental des droits de l’homme a enregistré, en 2013, 124 079 cas de violence sexuelle. Ce chiffre n’est que la pointe de l’iceberg.

Même s’il existe peu d’enquêtes sur l’exploitation des enfants et des adolescents, nous ne pouvons pas dire que sans preuves, le problème n’existe pas. La nature de l’exploitation sexuelle la rend difficile à mesurer ou à quantifier. L’ONG Childhood Brasil travaille sur différentes recherches pour améliorer la compréhension de ce problème et de ses causes.

JOL Press : Quelles sont vos actions pour lutter contre l’abus sexuel des enfants ?
 

Anna Flora Werneck : Childhood Brasil a été fondée en 1999 et se bat pour une enfance sans exploitation et abus sexuels. L’organisation soutient des projets communautaires, élabore des programmes régionaux et nationaux, influe sur les politiques publiques et privées. Elle dispose également de programmes de renforcement des capacités spécifiques pour différents professionnels afin de guider chacun sur la façon de traiter ces questions, de promouvoir la prévention, et de construire un réseau de protection pour les filles et les garçons.

Depuis 2013, l’association a mis davantage l’accent sur la constitution d’un groupe de réflexion sur la violence contre les enfants, la promotion du dialogue et le partenariat entre les différents acteurs dans le pays – privés, publics et sans but lucratif – afin de prévenir la violence sexuelle et de la combattre dans différents contextes.

JOL Press : Où se trouvent les enfants les plus touchés par l’exploitation et les abus sexuels au Brésil (dans quelles régions et dans quel environnement social) ?
 

Anna Flora Werneck : La vie de ces enfants est généralement marquée par la négligence, l’exclusion sociale et économique, des structures familiales fragiles, la drogue, le décrochage scolaire, et un manque de perspectives. Dans ce contexte, de nombreux enfants se retrouvent victimes d’abus et d’exploitation sexuelle.

Nous ne pouvons pas dire que l’exploitation sexuelle se cantonne à une certaine région ou à une certaine classe sociale, et elle n’est pas liée seulement à une certaine cause. Un ensemble de variables conduit à l’exploitation sexuelle. Non seulement il est important de s’occuper de ces différentes causes, mais nous devons aussi sensibiliser les gens à ce problème et renforcer le nombre de professionnels et d’institutions publiques qui s’occupent des enfants, des adolescents et de leurs familles.

JOL Press : Qu’est-ce qui pousse certains enfants dans la prostitution ?
 

Anna Flora Werneck : Nous ne qualifions jamais l’exploitation sexuelle de prostitution, car il faut bien comprendre que les enfants sont avant tout exploités.

Il y a différentes raisons qui peuvent pousser les enfants dans l’exploitation sexuelle, qu’elles soient économiques (l’exclusion sociale et les inégalités), culturelles (culture de la virilité, inégalité des sexes et érotisation des enfants à travers les médias par exemple), sociales (culture de la consommation excessive) et même le besoin de drogue ou de marchandises. Quand un enfant ou un adolescent se trouve dans cette situation, généralement, d’autres droits fondamentaux ont été bafoués.

JOL Press : Pourquoi et comment un événement comme la Coupe du Monde de football augmente la vulnérabilité de mineurs ?
 

Anna Flora Werneck L’exploitation sexuelle au Brésil est un problème, qu’il y ait une Coupe du Monde ou non. Cependant, un événement majeur comme celui-là accroît la vulnérabilité des enfants en raison des facteurs de risque suivants*:

– Accélération des calendriers de construction : un grand nombre d’hommes sont séparés de leurs familles et se tournent vers les prostitué(e)s, dont des mineurs ;

– Impacts négatifs de la migration du travail et des demandes élevées (mais temporaires) de main-d’œuvre, qui poussent certains à vendre des passeports ou documents d’identité illégaux, permettant l’utilisation du travail des mineurs et leur participation à la vente de rue ;

– Médias qui minimisent les mauvaises nouvelles (les abus sur mineurs par exemple) ;

– Enfants contraints à travailler dans des activités illégales telles que le trafic de drogue, le vol, la violence sectaire ou ethnique, en particulier s’ils restent dans la zone après l’événement ;

– Détention et fouilles illégales de personnes, y compris des enfants ;

– Taux élevés de violence sexuelle et physique en raison de l’accroissement des activités festives ;

– Enfants déplacés de leurs maisons pour des emplacements temporaires et/ou inconnus ;

– Effets négatifs sur la santé mentale et physique des mineurs causés par des maladies contagieuses si les enfants sont victimes de violence et/ou forcés de consommer des drogues ;

– Travailleurs migrants n’ayant pas accès aux services pour lenfance, à léducation, ou aux services de santé ;

– Vacances scolaires rallongées mais sans programmes de vacances dédiés pour les enfants, qui peuvent être livrés à eux-mêmes

*Source: « L’exploitation des enfants et adolescents pendant la Coupe du Monde de la FIFA : un examen des risques et des interventions de protection », recherches menées par l’Université Brunel, Londres, 2013 (en anglais).

Il est important de comprendre que le Brésil est un pays festif. Le carnaval, par exemple, brasse un grand nombre de touristes nationaux et internationaux. La principale différence dans le cas de la Coupe du monde est la grande visibilité de l’événement et l’attention internationale que le pays reçoit. Cette plus grande attention peut avoir des avantages car elle pousse le pays à trouver des solutions pour faire face aux impacts négatifs de ces événements, tels que la violence sexuelle contre les enfants.

JOL Press : Pourquoi est-il difficile de lutter contre les réseaux d’exploitation sexuelle au Brésil ?
 

Anna Flora Werneck : Les réseaux d’exploitation sexuelle sont difficiles à combattre partout pour les mêmes raisons. Tant en raison des différentes formes de vulnérabilité qui génèrent la violence sexuelle qu’en raison de la nature du crime en soi. L’exploitation sexuelle est souvent liée à un autre réseau criminel, et sa principale caractéristique est sa mobilité – les « routes » et les points du trafic national et international d’exploitation sexuelle changent dès qu’ils sont identifiés. Par ailleurs, malgré les avancées de la législation au Brésil, il y a toujours un vide législatif autour de la responsabilisation.

JOL Press : Comment le gouvernement de Dilma Rousseff lutte-t-il contre ces abus ?
 

Anna Flora Werneck La question de la violence sexuelle a été récemment mise en haut de l’agenda gouvernemental. C’était en 2008, lorsque le Brésil a accueilli le 3ème Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle. Le Plan national de lutte contre la violence sexuelle vient de fêter ses 10 ans. Concernant la Coupe du Monde, le Ministère des droits de l’homme coordonne un groupe intersectoriel nommé « Convergence Agenda ».

Son objectif est d’éviter les violations des droits humains des adolescents et des enfants lors des grandes manifestations à travers un plan d’action national. Ce plan rassemble des personnalités de la société civile, des organismes internationaux, le gouvernement fédéral, les gouvernements des États et des villes. Il compte également sur la participation des entreprises privées.

Il implique, dans chaque ville hôte, la création de comités locaux de protection de l’enfance pour coordonner et mettre en œuvre une action locale des plans pour prévenir la violence sexuelle et offrir un traitement adéquat aux enfants dont les droits ont été violés.

Bien que ce soit un grand progrès, il y a encore un long chemin à parcourir pour que ces institutions travaillent en réseau et développent leurs programmes en faveur des enfants et de leurs familles. En outre, les investissements publics doivent augmenter pour améliorer les services.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Anna Flora Werneck est coordinatrice de programmes au sein de l’organisation Childhood Brasil pour la protection de l’enfance.

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