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Yiannis Vakrinos dresse le «portrait d’une Grèce en crise»

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JOL Press : Comment est né le projet documentaire « Portraits of Greece in crisis » ?
 

Yiannis Vakrinos : Nous avions besoin de nous exprimer sur l’expérience de la chute, de partager le regard de citoyens ordinaires, des histoires que nous voulions raconter, et des histoires qui doivent être racontées. Tout cela nous a inspirés et a augmenté la nécessité de créer «Portraits de la Grèce en crise», dans lequel nous filmons les pièces d’un monde brisé, miné par la colère, la peur, l’insécurité et l’auto-destruction.

JOL Press: Que pensez-vous du traitement médiatique de la crise en Grèce ? Etes-vous las d’entendre parler de la Grèce uniquement sous le prisme de la crise économique ?
 

Yiannis Vakrinos :  Oui, c’est vraiment fatiguant de voir la Grèce réduite à la crise aussi bien dans le discours public que dans les médias. Il reste encore de belles choses et de formidables personnes en Grèce. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous prenons notre temps pour réaliser les meilleurs documentaires possibles. Il y a un besoin intense d’élargir notre gamme de sujets. Nous voulons éviter d’être déprimés aussi bien en tant que citoyen lambda qu’en tant que créateurs.

JOL Press: Qu’est-ce que la crise a changé dans la vie quotidienne des Grecs ?
 

Yiannis Vakrinos : Il y a d’abord le choc, la peur et l’incertitude ressentis par de nombreuses personnes dans leur vie quotidienne. Après tant de pertes, les gens se taisent, engourdis, comme si leurs cœurs et leurs esprits étaient gelés. La crise a tout de même eu un effet positif sur les Grecs, puisque nous avons été obligés de redéfinir notre relation avec l’espace public. Toues ces années ont conduit à la «re-habitation» de l’espace public, permettant aux gens de passer du temps dans les parcs, places…, quelque chose qui avait disparu de la culture grecque depuis un bon moment.

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JOL Press: La crise a-t-elle fait émerger un sentiment de solidarité parmi les Grecs ?  
 

Yiannis Vakrinos : Oui, en effet. Lorsqu’on nous interroge sur la question de la solidarité qui a été renforcée avec la crise, une image me vient immédiatement à l’esprit. Nous tournions à Perama –  une zone qui enregistre un taux de chômage extrêmement élevé –  où un groupe de personnes se réunit chaque semaine et distribue de la nourriture aux personnes dans le besoin. Même si les bénévoles ont aussi un faible revenu, ils viennent en aide aux autres. C’est réconfortant de voir des gens qui résistent au « cannibalisme social ».

JOL Press : Vous avez réalisé le portrait vidéo d’un migrant guinéen à Athènes. Depuis l’éclatement de la crise, avez-vous constaté l’accentuation d’un sentiment hostile envers les migrants en Grèce ?
 

Yiannis Vakrinos : La société grecque a toujours été conservatrice, homophobe et xénophobe, et a sombré dans le populisme et l’obscurité. Le choc de la crise nous a confrontés à la vérité d’une société qui, en perdant son bien-être financier, a perdu sa dignité et est devenue déshumanisée. Pour moi, le fascisme dans notre société n’est pas né subitement, en une seule journée… Il a toujours été bien présent : que cela soit dans les accidents de travail qui ont eu lieu lors de la préparation de Jeux Olympiques de 2004, ou lorsqu’on pense aux centaines d’immigrés morts noyés dans la mer Egée. Malheureusement, la partie grecque nazie n’est pas soudainement devenue la troisième puissance en Grèce, tout comme en France avec le Front national. Le monstre vient simplement d’être révélé.

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JOL Press: Il est devenu courant de parler de « génération perdue » pour qualifier les jeunes sans perspective aujourd’hui en Grèce: êtes-vous d’accord avec cette formule ?
 

Yiannis Vakrinos : Les taux de chômage des jeunes atteignent des sommets, mais nous espérons que la jeune génération arrive à trouver sa voie. Dans la tragédie grecque antique, les passions et la peur conduisent à la catharsis. Ce qui se passe aujourd’hui doit être une opportunité pour la jeune génération – mais pas seulement – de voir le monde différemment.

JOL Press: Comment financez-vous le projet documentaire ?  

Yiannis Vakrinos : Nous avons débuté le projet en nous auto-finançant. Le Centre du cinéma grec n’offre pas de fonds pour les documentaires courts… pourtant les jeunes cinéastes ont plus que jamais besoin d’un soutien financier. En fait, c’est comme si l’Etat grec ne reconnaissait pas les docs courts comme un genre.  Malgré ces obstacles, nous allons continuer parce que nous avons obtenu une source de financement de l’Union européenne, nous permettant ainsi de raconter de nouvelles histoires.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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