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50 ans après, la fin de la ségrégation aux Etats-Unis

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JOL Press : En quoi la loi du 2 juillet 1964 est-elle historique ?
 

François Durpaire * : Aux Etats-Unis, le Civil Rights Act de 1964 est le premier grand texte à déclarer illégale la discrimination fondée sur la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. A la fin du XIXe siècle, une loi avait posé le principe de l’égalité entre les noirs et les blancs, mais elle n’avait pas été suivie d’effets. Dans un contexte très tendu, une commission est chargée de mettre en œuvre le texte de 1964. Il ne s’agit donc pas d’un simple bout de papier.

A mon sens, le Civil Rights Act est un point de départ et d’arrivée. Un point de départ parce que, pour la première fois, le Congrès s’empare de cette question. Avant 1964, les avancées étaient dues aux jugements rendus par la Cour suprême, c’est-à-dire par le pouvoir judiciaire. En 1954, la Cour Suprême avait ainsi rendu son arrêt Brown v. Board of Education, déclarant la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques.

En fait, le Congrès craignait l’éclatement d’une guerre civile. N’oublions pas que les démocrates du Sud étaient ségrégationnistes – l’esclavage a d’ailleurs été aboli par le président républicain Abraham Lincoln. En 1964, le Congrès a ouvert la voie à d’autres lois, notamment le Voting Rights Act (1965), supprimant toutes les restrictions au droit de vote.

Le Civil Rights Act est aussi un point d’arrivée. C’est le résultat de plus de 10 ans de combat. Le point d’orgue du Mouvement des droits civiques étant bien sûr le discours de Martin Luther King, prononcé le 28 août 1963, devant le Lincoln Memorial, à Washington. 

JOL Press : Où en est-on aujourd’hui ? La ségrégation n’est-elle plus qu’un mauvais souvenir ? 
 

François Durpaire : Le Civil Rights Act n’a pas effacé l’injustice, il a fait de la discrimination raciale un délit puni par la loi. Aujourd’hui, 50 ans après la signature de ce texte, il faut souligner une évolution positive : l’accession des noirs à la classe moyenne (en partie due à un contexte économique favorable) et à l’enseignement supérieur. Ajoutons à cela l’élection, en 2008, du premier président noir. On observe aussi de plus en plus de mariages mixtes.

D’un autre côté, il reste des progrès à faire. Le profilage ethnique, ce que l’on appelle aussi le «délit de sale gueule», existe. Il y a une surreprésentation des noirs dans les prisons américaines, qui n’est pas seulement due à des raisons économiques (caution, frais d’avocat etc.). De plus, la situation varie considérablement selon les Etats : être noir dans le Mississippi ou en Louisiane ce n’est pas la même chose que d’être noir en Californie ou dans le Rhode Island.

On ne peut ni affirmer que tous les problèmes raciaux sont résolus, ni qu’il n’y a eu que de faibles évolutions. Ces deux discours sont simplistes et caricaturaux. 

JOL Press : Aux Etats-Unis, d’autres minorités sont-elles victimes d’une forme de ségrégation ? 
 

François Durpaire : Il existe un phénomène d’auto-ségrégation, que l’on observe dans certains quartiers à majorité hispanique par exemple. Il s’agit de quartiers pauvres ou, au contraire, bourgeois. Cela dit, depuis les années 1970 / 1980, la ségrégation urbaine (qui peut être définie comme un isolement à la fois social et spatial d’un groupe) tend à reculer. A l’inverse, on constate des phénomènes de reségrégation dans certaines villes comme New York, qui sont liés à ce qu’on appelle en France la «boboïsation».

La situation des noirs, des hispaniques et des asiatiques est très différente. Ces trois populations ont pour point commun d’être des minorités visibles, ce qui peut conduire à des discriminations. Toutefois, leur histoire n’est absolument pas la même. Celle des hispaniques et des asiatiques est liée à l’immigration, alors que celle des noirs est liée à un passé beaucoup plus douloureux. Le succès des films «Lincoln», «Django Unchained» et «12 Years a Slave» s’inscrit d’ailleurs dans le débat actuel sur les réparations de l’esclavage.

www.durpaire.com

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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