Site icon La Revue Internationale

Aéroport attaqué, pénuries: «À Tripoli, on craint que la situation dégénère»

[image:1,l]

La capitale libyenne, Tripoli, a été le théâtre d’attaques menées par les milices islamistes de Misrata contre l’aéroport international. (Crédit photo: Danie Nel / Shutterstock.com)

JOL Press : Avez-vous été surpris par l’attaque de l’aéroport de Tripoli ?
 

Karim Nabata : L’attaque de l’aéroport n’a pas vraiment été une surprise. Depuis un certain temps, ce genre de menace perpétrée par le « Bouclier central », organisme parallèle à l’armée créé après la révolution de 2011 et qui regroupe les milices islamistes de Misrata, pesait sur la Libye. On pouvait donc s’y attendre.

JOL Press : Même avec une telle violence ?
 

Karim Nabata : Vu la diffusion d’armes qu’il y a dans le pays, on s’attendait vraiment à ce qu’il y ait un emploi de forces et d’armes assez considérable.

JOL Press : Comment se passe la vie à Tripoli depuis l’attaque ?
 

Karim Nabata : Cette attaque a un peu plus accentué l’absence des institutions et de l’État dans la ville. À l’heure où je vous parle [jeudi 17 juillet à 14h, ndlr], je suis dans une file d’attente pour acheter du carburant, dans une station-service à 40 kilomètres de Tripoli, depuis 9h ce matin. À Tripoli, il ne faut même pas espérer trouver une station ouverte. Cela donne vraiment une image de ce qui se passe à Tripoli actuellement. Il y a une pénurie d’essence depuis le début de la semaine.

Il risque aussi d’y avoir un manque de produits alimentaires, puisque la région de l’aéroport est en quelque sorte le « grenier » de Tripoli : c’est là où tous les épiciers, les marchands et les commerces s’approvisionnent en produits alimentaires. L’approvisionnement est coupé depuis trois jours et les marchands commencent à exprimer une certaine détresse face à la pénurie de marchandises.

JOL Press : Craignez-vous que ce genre d’attaque se répète ?
 

Karim Nabata : On a peur que cela dégénère encore plus. Cela fait plusieurs jours que cette attaque a eu lieu, et il règne actuellement une sorte de « calme » avant la prochaine tempête, puisque les deux parties commencent à entasser armes et munitions aux alentours de Tripoli. Lorsque cela se déclenchera, ce sera encore plus violent.

JOL Press : Quelle réponse le gouvernement libyen a-t-il donné à cette attaque ?
 

Karim Nabata : Le gouvernement libyen n’a pas fait de déclaration qui soit vraiment à la hauteur de cet événement, puisqu’il n’a même pas eu le courage de définir ce qui se passe à Tripoli comme une bataille de milices. Il s’est contenté de demander aux deux parties de cesser le feu sans vraiment les inculper.

JOL Press : Les autorités libyennes ont évoqué la possibilité de demander l’aide internationale. Pensez-vous qu’une intervention étrangère en Libye soit une solution ?
 

Karim Nabata : La demande d’aide internationale fait partie du plan de travail du gouvernement depuis l’époque d’Ali Zeidan, ancien Premier ministre [de novembre 2012 à mars 2014, ndlr].

À chaque fois qu’il y a un événement de ce genre en Libye, les autorités sortent à nouveau la carte de l’aide internationale. Le pays est partagé entre les deux opinions, pour ou contre une intervention. Je ne pense pas que celle-ci soit la solution idéale pour un tel conflit. Selon moi, la solution ne pourrait être que libyenne.

JOL Press : Beaucoup d’observateurs parlent de guerre civile… Qu’en pensez-vous ?
 

Karim Nabata : Il convient plutôt de parler pour le moment de guérilla tribale. Car derrière tout cela, il y a deux grandes tribus, alliées pendant la révolution et qui maintenant s’entretuent : celle de la région de Misrata et l’autre de Zentane. On ne peut pas parler de guerre civile qui se baserait uniquement sur le combat de ces deux tribus.

Mais cela pourrait être le cas à l’avenir, puisque les relations tribales chez nous ont cette notion conflictuelle perpétuelle. On pourrait donc voir plusieurs tribus dans un camp affronter d’autres tribus dans l’autre camp, et cela pourrait déclencher une guerre civile. Actuellement, c’est plus limité, et l’impact de cette guerre est surtout circonscrit aux deux tribus et régions dont je viens de parler.

JOL Press : Comment analysez-vous les résultats des élections législatives qui se sont tenues fin juin ?
 

Karim Nabata : Ce qui se passe actuellement est aussi dû à la bonne organisation de ces élections qui ont eu lieu il y a un mois. Car les Libyens semblent avoir pris conscience des « complots » qui se déroulaient au sein du Congrès général national (CGN). Ils ont donc évité de voter pour les mêmes personnes ou les mêmes tendances, c’est-à-dire pour les Frères musulmans et les tendances islamistes.

Ces tendances islamistes, qui ont senti le danger de perdre la main sur la vie politique libyenne, ont alors déclenché cette petite guerre avec des raisons assez banales. L’aéroport de Tripoli était déjà aux mains des milices de Zentane depuis quatre ans. Pourquoi ont-ils choisi ce moment-là pour les attaquer ? C’est pour retarder au maximum la passation du pouvoir au sein du Congrès et en tirer le plus de profit. Ils veulent vraiment prolonger la vie de ce Congrès qu’ils détenaient et qui est en train de leur glisser des mains.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

———

Karim Nabata est un blogueur libyen basé à Tripoli. Il tient un blog sur la plateforme Libyablog, décryptant, souvent avec humour, la vie politique libyenne.

Quitter la version mobile