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BNP Paribas: appel au réveil de la Belgique, actionnaire de référence

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Philippe Riès a autorisé JOL Press à reprendre son article publié sur le site de Médiapart

Le « plaider coupable » de BNP Paribas aux États-Unis devrait enfin permettre aux actionnaires, pénalisés de 6,4 milliards d’euros, de poursuivre en justice les dirigeants d’une grande banque. Premier concerné, l’État belge, avec 10,3 % du capital. 

[image:1,l] Le logo de la banque BNP Paribas (crédit : Shutterstock)

Tandis que la classe politique belge s’adonne à son jeu de patience favori, la formation d’un nouveau gouvernement, des voix se font entendre outre-Quiévrain pour que la Belgique, premier actionnaire de BNP Paribas avec 10,3 % du capital, exige de la direction de la banque qu’elle se constitue partie civile et porte plainte contre les responsables de tous niveaux, y compris les mandataires sociaux anciens ou actuels, dont les agissements ont conduit à faire supporter aux actionnaires une amende de 6,4 milliards d’euros (près de 9 milliards de dollars).

Depuis que la sanction des violations répétées de la loi américaine est tombée, au terme d’une longue négociation avec la justice new-yorkaise, la direction de BNPP fait comme si l’affaire ne devait rien coûter à personne : ni aux clients, ni aux personnels de la banque, ni aux contribuables des pays où la banque a son siège (la France) ou d’importantes filiales (Belgique et Italie notamment), ni même aux actionnaires puisque le dividende sera maintenu bien que l’amende représente plus d’une année de bénéfice. La seule victime serait le ratio de capitalisation, en raison d’une baisse limitée des fonds propres. « Mais les fonds propres, à qui appartiennent-ils sinon aux actionnaires ? », s’indigne Paul Goldschmidt, citoyen belge et ancien haut fonctionnaire de la Commission européenne dans le domaine financier.

Dans une « lettre ouverte aux autorités belges compétentes » dont Mediapart a reçu copie, cet expert passé auparavant par la meilleure des écoles, Goldman Sachs, estime que « étant donné l’ampleur du préjudice direct subi (+/- 640 millions d’euros, soit 10 % du total), du manque à gagner dû aux limitations opérationnelles temporaires imposées par les autorités américaines et enfin des dommages considérables non chiffrables causés à la réputation de la banque, il semble légitime que la Belgique préconise une action en justice à l’encontre de tous ceux qui partagent la responsabilité de ce fiasco majeur. Cela s’impose d’autant plus qu’au-delà des violations des lois américaines, des fautes lourdes auraient été commises au titre du non-respect des règles internes de la banque, de la réglementation financière et de l’information dues aux actionnaires ».

« Que BNPP s’appuie sur la jurisprudence Kerviel et fasse la même chose que la Société générale », a expliqué M. Goldschmidt à Mediapart. Nul n’ignore que la Société générale a obtenu au civil la condamnation du « trader » Jérôme Kerviel, seul poursuivi, à lui rembourser les 4,5 milliards d’euros de pertes imputées à des opérations spéculatives. Jugement cassé en appel, un nouveau procès devant établir le partage exact des responsabilités dans l’ampleur de la perte, entre la banque et son ancien employé. Mais dans le cas de BNNP, souligne M. Goldschmidt, « le préjudice minimum est précisément établi, à 6,4 milliards d’euros », et d’autre part, écrit-il dans sa lettre ouverte, « le comportement fautif des intervenants – qui a généré un préjudice bien supérieur à 6,4 milliards d’euros – devrait être d’autant plus facile à  établir que la banque a elle-même reconnu sa culpabilité devant la justice américaine dans le cadre du règlement transactionnel de la pénalité ». 

Ce « plaider coupable », que les banques américaines avaient réussi à éviter tout en acquittant à ce jour collectivement plus de 100 milliards de dollars d’amendes pour des comportements délictueux liés à la crise des « subprimes », change en effet radicalement le contexte juridique pour les investisseurs désireux de se retourner contre les responsables d’errements qu’ils font payer par leurs actionnaires. C’est bien pourquoi le patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, s’était élevé contre le précédent détestable (pour lui et ses pairs) de cet aveu de culpabilité par les banquiers étrangers, Crédit suisse puis BNPP. Jusqu’ici, les règlements transactionnels excluant une reconnaissance de culpabilité rendaient très difficile l’engagement de contentieux par les actionnaires s’estimant lésés. C’était d’ailleurs l’objectif recherché.

« Même si, comme dans l’affaire Kerviel, il est irréaliste de penser que les éventuels coupables soient en mesure de dédommager la banque (et ses actionnaires) à hauteur du préjudice subi, leur condamnation servirait néanmoins d’avertissement, bien plus efficace que toute mesure législative ou réglementaire que les autorités publiques – nationales ou européennes – pourraient prendre pour améliorer la gouvernance du secteur financier », écrit encore Paul Goldschmidt dans sa lettre ouverte.

Mettre fin à l’impunité des grandes banques

Comme il est peu probable que la direction actuelle de BNP Paribas initie une démarche qui pourrait conduire à mettre en cause ses actuels ou anciens dirigeants, notamment Michel Pébereau, son « président d’honneur » directement associé, comme l’a expliqué (lire ici) Martine Orange, à la vie de la filiale suisse à l’origine des opérations sanctionnées par les autorités américaines, M. Goldschmidt soutient qu’il reviendrait alors à l’État belge, en tant qu’actionnaire de référence, d’initier une plainte en justice, en s’efforçant d’enrôler d’autres grands investisseurs institutionnels. 

En France même, des gestionnaires de fonds d’investisseurs institutionnels, notamment à la compagnie d’assurances d’un des grands réseaux bancaires, auraient souhaité une action en justice en dommages et intérêts contre BNPP. Mais entre banquiers hexagonaux, cela ne se fait manifestement pas. En revanche, il est possible qu’une entrée en scène de l’État belge, premier actionnaire de la banque, change la donne. Le cabinet Deminor, spécialisé dans l’activisme actionnarial, soulignait dès le 16 mai dernier, avant la tombée de la sanction américaine, « la chance unique pour l’État belge de promouvoir la bonne gouvernance sur les marchés internationaux », en pointant notamment la gestion calamiteuse du contentieux par les hauts dirigeants de BNPP et en particulier le refus manifeste, pendant trop longtemps, de coopérer avec la justice américaine.

Sur ce dernier point, on peut penser au demeurant que la responsabilité est partagée par les autorités françaises, un « régulateur captif » qui, comme toujours, vole au secours de ses « protégés » sans poser de question et des politiques prompts à enfourcher la rossinante de l’anti-américanisme (primaire ou secondaire). Un thème favori de cette « défense » de BNPP est la mise en cause d’une prétention d’extraterritorialité de la loi américaine. Pour Paul Goldschmidt cependant, les dirigeants de BNPP ont fait « une très mauvaise analyse de la situation ». La question de la compétence de la juridiction américaine est pourtant très simple : « sauf en numéraire » (autrement dit des valises de billets verts), « le dollar n’a aucun moyen de quitter les États-Unis », explique-t-il. « Dès qu’il y a paiement en dollars, la transaction se fait aux États-Unis »via des chambres de compensation américaines. Il n’y donc pas d’extraterritorialité et au demeurant le droit international, à tort ou à raison, ignore le sujet.

Armée de tous ces éléments, sans compter ceux que pourrait révéler une enquête judiciaire, la Belgique va-t-elle sortir de son rôle de « sleeping partner » profondément assoupi ? Ce n’est pas gagné. Le 17 juillet, le ministre des finances sortant Koen Geens, qui expédie les affaires courantes en attendant la formation du nouveau gouvernement (pas demain la veille si la « tradition » est respectée) s’en est expliqué devant la nouvelle chambre des députés. Tout en rappelant que l’État belge n’était devenu actionnaire de BNPP qu’en 2008 et par accident (il fallait vendre, certains diront brader, Fortis, menacée de faillite, à la banque française), M. Geens s’en est remis à l’assemblée générale des actionnaires. « Ne sous-estimez pas l’importance de l’assemblée générale », a-t-il dit. Réponse surréaliste. Ladite assemblée générale n’aura lieu qu’en mai 2015 et l’expérience prouve que dans la « gouvernance d’entreprise » en Europe continentale, elles ne sont que des chambres d’enregistrement à peine troublées par des protestataires bruyants mais sans influence sur les votes  (comme l’assemblée générale de la SocGen suivant l’affaire Kerviel l’avait démontré – lire ici)

D’autant que le comportement des deux administrateurs envoyés au conseil de BNPP par la Belgique laisse perplexe. Arguant de leur « indépendance », Emil Van Broekhoven, un professeur honoraire d’université, et Michel Tilmant, un ancien banquier d’ING placé là, dit-on, à la demande du milliardaire Albert Frère, un Flamand et un Wallon donc (toujours la « tradition »), estiment qu’ils n’ont de comptes à rendre à personne. « Nous ne rapportons pas à la SFPI (bras financier de l’État belge) et pas plus au ministre des finances ou à qui que ce soit d’autre, a affirmé publiquement M. Van Broekhoven. Les choses qui ne sont pas rendues publiques, nous ne pouvons pas les partager », précise-t-il. Toujours le surréalisme. L’indépendance des administrateurs « indépendants » se mesure par rapport au management de la banque, pas du ou des actionnaires auxquels ils doivent leur place au conseil d’administration.

Ainsi que l’a fait observer, au cours de l’audition de Koen Geens, le député écologiste Georges Gilkinet : « Je n’ose imaginer qu’un administrateur désigné par Albert Frère, une fois nommé, n’aurait plus de comptes à rendre. » La première décision d’un nouveau gouvernement belge sortant de sa torpeur devrait être de révoquer ces administrateurs « indépendants » et de les remplacer par des personnalités décidées à défendre les intérêts de leurs mandants.

Comme l’écrit Paul Goldschmidt en conclusion de sa lettre ouverte, « ne pas réagir avec tous les moyens à la disposition de l’actionnaire serait léser une deuxième fois le contribuable belge. Ceci ne pourrait que renforcer le sentiment, en Belgique et à l’étranger, que les hauts responsables du secteur financier bénéficient d’une impunité qui contraste de manière indécente avec les efforts de redressement que les pouvoirs publics imposent aux citoyens pour rétablir l’équilibre budgétaire, stimuler l’emploi et améliorer le pouvoir d’achat ». CQFD !

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