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Calais: «Eparpillés, les migrants sont encore plus vulnérables»

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JOL Press : Quelles sont les conséquences du démantèlement des camps de migrants à Calais ?
 

Haydée Sabéran : Le démantèlement des camps implique un éclatement des migrants. Ils sont éparpillés et encore plus vulnérables qu’avant, lorsqu’ils étaient regroupés ensemble dans un camp, entourés par des bénévoles d’association, où il y avait une forme de sécurisation.

Les migrants qui ont été évacués le 2 juillet dernier – dont des femmes et des mineurs – ont ensuite été placés dans plusieurs centres de rétention en France en attendant que le processus d’expulsion du pays soit enclenché. Une manière pour les autorités de les tenir éloignés de Calais. Le même processus avait été utilisé lors du démantèlement de la « jungle » en 2009, et de Sangatte en 2002.

JOL Press : L’évacuation des camps les fragilise-t-elle davantage ?
 

Haydée Sabéran : Oui. Lorsqu’ils sont éparpillés, les migrants se trouvent dans une situation de plus grande insécurité. Ils sont obligés d’aller dans la « jungle », où doivent faire face à de nombreux dangers : violences policières possibles, passeurs… Les migrants que je rencontre me confient qu’ils risquent de se faire frapper par un policier, lorsqu’ils sont seuls, à l’abri des regards dans la « jungle » située à côté de l’autoroute à Calais.

JOL Press : De quels pays viennent principalement  les migrants ? Et combien sont-ils à Calais aujourd’hui ?
 

Haydée Sabéran : Avant le démantèlement du camp du 2 juillet, ils étaient environ un millier à Calais et dans ses alentours. Mais il est très difficile d’avancer un chiffre précis. Les migrants viennent de pays en guerre comme l’Afghanistan, la Syrie, le Soudan ou fuient des dictatures féroces comme en Erythrée.

La jeunesse érythréenne s’enfuit d’un pays où elle est soumise à un service militaire obligatoire et illimité qui s’apparente à un bagne. On considère aujourd’hui la jeunesse érythréenne comme une sorte d’armée de réserve permanente du régime. Les gens fuient le pays à leurs risques et périls en passant par la Libye, le désert du Soudan, traversant la Méditerranée pour arriver à Calais : un voyage extrêmement dangereux.

JOL Press : La dernière étape, à Calais, est-elle tout aussi compliquée ?
 

Haydée Sabéran : Lorsqu’on a risqué sa vie sur un bateau à la dérive en Méditerranée, dans un camion qui traverse le désert du Soudan, que l’on a vécu des mois dans une prison libyenne, je pense que la souffrance physique est moins intense à Calais, mais psychologiquement c’est difficile. Il y a quelque chose de désespérant à Calais : les migrants sont presque arrivés à leur destination finale, mais n’y parviennent pas. Seulement une quarantaine de kilomètres les séparent de l’Angleterre. Lorsqu’il fait beau, ils peuvent même voir les côtes anglaises.

A Calais, ils sont tout de même entourés par les bénévoles des associations, ou les activistes de No Border qui leur apportent un certain réconfort dans une ville où ils sont soumis à de nombreuses difficultés : la vie dehors, la fatigue, la faim, la police, les passeurs…

JOL Press : Est-ce que Calais peut faire face seule à cette immigration massive ?
 

Haydée Sabéran : Calais vit avec cette situation depuis une quinzaine d’années. Ce n’est pas simple car il s’agit de gens de passage qui n’ont pas vocation à rester ici. Ce qui me frappe, c’est l’inertie totale des autorités : non seulement françaises mais aussi européennes. Calais est la dernière frontière vers l’Angleterre. Cette ville, et ses alentours, sont voués à être un goulot d’étranglement  vers l’Angleterre tant que la frontière sera fermée. On ferme le plus hermétiquement possible, les gens passent avec difficultés, et nous faisons comme si la situation pouvait se tarir de soi-même : on ne s’en occupe pas.

Et lorsqu’on se penche sur le problème cela donne ce qu’il vient de se passer avec l’évacuation du camp installé dans un centre de distribution de repas …Les autorités ont procédé de la sorte fin 2002 avec la fermeture de Sangatte, puis en 2009 avec le démantèlement de la « jungle ».

Nous faisons l’autruche depuis des années. Chaque évacuation de camp révèle notre impuissance : nous ne savons rien faire d’autre qu’éparpiller les gens.

Ce qui me terrifie c’est que je rencontre des migrants à Calais qui me racontent qu’ils étaient âgés de 13 ans lorsqu’ils étaient à Sangatte. Ils ont réussi à passer en Angleterre, puis ont été expulsés vers leur pays. Je les rencontre aujourd’hui à Calais, dix ans plus tard. Ils sont prêts à risquer leur vie une nouvelle fois pour passer de nouveau de l’autre côté de la Manche.

Propos recueillis par Louise Michel d’Annoville

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Haydée Sabéran est correspondante du journal Libération à Lille. Elle est l’auteure de l’ouvrage « Ceux qui passent » (Editions Carnets Nord, 2012)

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