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Combattre le «nouvel antisémitisme»

Le symptôme a été rendu visible mais le mal est antérieur, il est assez profond et tend à se répandre. A Paris et à Berlin, des manifestations de rues ont fait resurgir des mots et des actes d’un autre âge, celui que l’Europe, depuis la seconde guerre mondiale, ne croyait plus devoir revivre. Et pourtant…
 
Cette cristallisation sur le conflit israélo-palestinien est à la fois révélatrice et inquiétante. Certes, les atrocités de la guerre ne peuvent laisser indifférent et les démocraties s’honorent de laisser grand ouvert le débat. Bien sûr, l’émotion ne peut être que très vive quand des civils, des enfants de surcroît, passent par pertes et profits de conflits armés. Il ne reste pas moins stupéfiant de constater le silence assourdissant des indignés de la cause palestinienne, en l’occurrence instrumentalisée par les extrémistes du Hamas, quand il s’agit de s’élever contre les 140 000 morts de la guerre civile en Syrie, contre l’exil forcé de 400 000 chrétiens d’Irak souvent menacés de mort, ou contre les sévices et persécutions subies par les démocrates… palestiniens, qui ont le courage de dénoncer la violence de la « loi islamique », telle qu’elle est brandie par le Hamas dans une malsaine émulation avec d’autres courants fondamentalistes.
 
Le pas de l’agression antisémite est donc ainsi ouvertement franchi en France et ailleurs en Europe sous prétexte d’un conflit qui, en fait, libère des pulsions irrationnelles (néanmoins bien réfléchies par les idéologues de tous les extrémismes)  : une haine ancestrale prend ainsi un nouveau visage (celui de jeunes de banlieues) tout en usant d’un vieux fantasme (celui de puissances occultes, coupables de la relégation et responsables de la misère du monde). On pouvait croire le grossier mécanisme, qui en appelle à la vengeance de Dieu par la violence du « glaive », en Europe relever de quelques attardés isolés, aux références moyenâgeuses. Et bien, non : à Paris comme à Berlin, ils furent des milliers dans la rue à scander et à apprécier des slogans s’en prenant aux « juifs », à Paris comme à Berlin, des agressions ont visé des personnes et des lieux, parce qu’ils étaient juifs. 
 
L’Imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, qui travaille non sans mal depuis des années au lien intercommunautaire et au devoir de Mémoire, indique que les agresseurs antisémites sont minoritaires au sein de la communauté musulmane française. Il n’a pas tort. Reste que la minorité active est devenue activiste, que l’activisme mène non seulement à l’aveuglement du fanatisme mais à l’inertie (ou la tétanie) d’une majorité trop silencieuse… et qu’ainsi progresse une idéologie sans frontière, celle d’un islamisme radical, qui a pris l’antisionisme radical comme étendard et, sans mauvais jeu de mot, voile d’un antisémitisme global. 
 
Le phénomène, par son ampleur, peut prendre une très mauvaise tournure  aujourd’hui, même s’il avait déjà été analysé, en France, après la deuxième Intifada au début des années 2000 -cf. notamment le livre collectif dirigé par Michel Wieviorka, « La tentation antisémite » (2005, Robert Laffont) – ou en 2009, après l’opération «  plomb durci  », riposte israélienne aux roquettes incessantes qui partaient déjà de Gaza, où les alliés de l’Iran, dont le Hamas, faisait mine de jouer les victimes de « l’oppression sioniste » et occidentale.
 
A l’heure de la propagation des haines, par la voie de certaines chaînes satellitaires et d’Internet, ce «  nouvel antisémitisme  » doit être enrayé avec la plus grande intransigeance. Non seulement parce qu’il frappe une minorité avec une violence inacceptable mais aussi parce qu’il menace le socle de notre pacte républicain, qui protège chaque citoyen, indistinctement de son origine ou de sa religion. Les flambées d’intolérance, même sur notre « Vieux Continent » qui en a vu d’autres, peuvent toujours prendre par surprise les démocraties paisibles. 
 
Il est donc du rôle des politiques d’abord, au-delà des clivages, de faire valoir cette intransigeance et de faire appliquer le droit, avec la plus grande sévérité. Ce qui n’est pas toujours le cas. En attisant les braises, la gauche de la gauche joue le jeu dangereux des apprentis sorciers et devient l’allié objectif d’une extrême droite, qui apprécie toujours l’antisémitisme et qui, par ailleurs, cherche à récupérer les troubles à l’ordre public. Face à ces instrumentalisations, droite et gauche de responsabilité, comme elles ont commencé à le faire, doivent tenir bon dans la durée et surtout consolider l’idée (affaiblie) d’une République qui protège sans distinction tous ses citoyens. 
 
Le chantier, pour passer des paroles aux actes, on le voit bien est immense. Il relève non seulement des politiques mais aussi des médias, qui doivent, au-delà des émotions de l’instant ou du raccourci de quelques images, montrer aussi la complexité et surtout la globalité des événements et des enjeux du Proche-Orient. 
 
Prendre la dimension du problème. C’est aussi le défi des éducateurs, en particulier dans certaines banlieues françaises, dans ces quartiers parfois sous emprise d’un Islam radical. On parle beaucoup moins de ce chantier, et pour cause, c’est le plus difficile mais l’un des plus importants à investir aujourd’hui, sans recettes miracles et des moyens publics qui manquent : un chantier à investir néanmoins pour que les «  territoires perdus de la République  » cessent d’être les caisses de résonance 
d’intolérances que les démocraties ne sauraient tolérer. Sans risquer de se perdre elles-mêmes. 
 
Jean-Philippe MOINET,
 
Directeur de la Revue Civique, éditorialiste à JOL Press.
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