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Corée du Nord: «Au-delà du culte de la personnalité… une sorte de secte»

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JOL Press : Comment pénètre-t-on dans l’une des dictatures les plus fermées de la planète ?
 

Michaël Sztanke : Il faut d’abord négocier avec les autorités nord-coréennes à Paris. Il n’y a pas de relations diplomatiques entre la France et la Corée du Nord, mais une délégation existe à Paris : une sorte d’ambassade qui ne dit pas son nom. C’est avec les quelques diplomates en poste que l’on négocie la possibilité d’obtenir un visa pour rentrer en Corée  du Nord. Cela se fait sur plusieurs mois, parfois sur plusieurs années… Il faut d’abord obtenir leur confiance pour qu’ils délivrent le précieux papier et qu’ils en sachent un maximum sur vous et sur vos intentions.

JOL Press: Vous vous êtes rendu plusieurs fois en Corée du Nord. Qu’est-qui a changé depuis votre premier voyage en 2008 ?
 

Michaël Sztanke : Lorsque je m’y suis rendu en 2008, aucune voiture ne circulait dans la capitale, à Pyongyang. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Evidemment, on ne peut comparer la situation avec d’autres capitales d’Asie. Il s’agit uniquement de voitures appartenant à des organismes d’Etat : aucun habitant n’a le droit de posséder une voiture. Une autre chose a changé et m’a frappé lorsque je suis retourné en Corée du Nord : les téléphones portables. En 2008, il n’y avait aucun téléphone portable dans la ville, alors qu’aujourd’hui, il y a deux millions de téléphone en circulation, évidemment uniquement valables dans le pays, et sans accès à Internet.

JOL Press : Nouvelles infrastructures, complexes sportifs et de loisirs, magasins… La ville de Pyongyang est-elle la vitrine du régime dans un pays où la pauvreté accable de nombreux Nord-Coréens ?  
 

Michaël Sztanke : Depuis qu’il est au pouvoir, Kim Jong-un a fait en sorte de mettre un peu de poudre aux yeux pour faire de Pyongyang une vitrine du régime : il a fait construire des parcs d’attractions, des patinoires, des centres équestres, beaucoup d’infrastructures liées aux loisirs ou au sport. Pour nous Occidentaux, c’est un peu un moyen de dire à la population « Amusez-vous mais taisez-vous ».

Il y a même une station de ski monumentale située à 200 km de Pyongyang, alors que dans le même temps la population a du mal à se nourrir. Pour les autorités, c’est un moyen de montrer que la Corée du Nord est capable de proposer des loisirs aux standards internationaux. La station de ski a également été mise en place pour montrer au monde entier que le régime est capable de contourner l’embargo autour des produits de luxe et de loisirs qui frappe le pays.

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JOL Press : Quelles est l’ampleur du culte de la personnalité autour de Kim Jong-un ?
 

Michaël Sztanke : C’est plus que du culte de la personnalité… C’est presqu’une secte. En Corée du Nord, on dit que le pays est dirigé par les « gourous », c’est-à-dire les leaders politiques du régime. Il ne se passe pas une minute dans votre journée sans que quelqu’un fasse référence au leader : que cela soit dans les interviews, ou à travers les guides – les agents du gouvernement – qui vous accompagnent pendant votre périple. Même sous Staline, le culte de la personnalité n’était pas aussi important qu’en Corée du Nord. Cela frise le grotesque : il y a toute une partie imaginaire et légendée autour des leaders.

JOL Press : L’intrigue de la BD est basée sur la perte du badge officiel à l’effigie de Kim Jong-un. La majorité de l’histoire de « La Faute, une vie en Corée du Nord »  est-elle inspirée de faits réels ?
 

Michaël Sztanke : Il y a une partie documentaire et une partie fiction. J’ai imaginé la perte du badge de Chol II, agent touristique, à partir d’éléments plausibles. Tout ce qui en découle est inventé mais plausible. Je me suis à la fois basé sur mon expérience en Corée du Nord, mais aussi sur le récit des Nord-Coréens que j’ai pu rencontrer au Sud. Dans la BD, tous les dialogues sont quant à eux vrais, au mot près.

JOL Press : En 2013, seulement 1500 Nord-Coréens ont réussi à s’enfuir de l’une des dictatures les plus fermées au monde, pour se réfugier en Corée du Sud. Un nombre qui ne cesse de baisser depuis l’accession au pouvoir de Kim Jong-un, en décembre 2011… Pourquoi les défections sont-elles de plus en plus rares ?
 

Michaël Sztanke : Il est difficile d’avoir des chiffres exacts mais il y a eu probablement moins de défections depuis que Kim Jong-un est au pouvoir. Il a renforcé le contrôle aux frontières et a militarisé davantage la frontière entre la Chine et la Corée du Nord, et a demandé à la Chine de renforcer son contrôle à la frontière. N’oublions pas que, depuis quelques années, un accord a été signé entre les deux pays pour que la Chine renvoie les réfugiés Nord-Coréens trouvés sur son sol.

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JOL Press : Que risquent les Nord-Coréens qui essaient de s’échapper ?
 

Michaël Sztanke : S’ils se font attraper en train de fuir, les gardes-frontières ont deux possibilités : soit les dépouiller de leur argent, soit les amener à des postes de commandement avant qu’ils ne soient mis dans des camps de travail ou prison. Non seulement ils risquent gros, mais leurs familles également : c’est ce qu’on appelle la « culpabilité par association » : si un membre de votre famille est considéré comme un mauvais élément par le régime, les trois générations qui suivent seront considérées comme fautives et comme des parias de la société.

JOL Press : Pourquoi avoir choisi le roman graphique pour raconter la Corée du Nord de l’intérieur: pour plus de liberté ?
 

Michaël Sztanke : Oui, c’est effectivement par souci de liberté. Lorsque je suis rentré de mon voyage de Corée du Nord en septembre 2012, j’avais été frustré de ne pas pouvoir filmer tout ce que je voulais dans le pays.

De cette frustration est née l’envie de faire une bande-dessinée, non seulement parce que j’adore la BD, mais aussi parce que je la considère comme un médium efficace pour raconter les coulisses d’une vie en Corée du Nord, que l’on ne peut pas raconter en images ou vidéos étant donné que l’on est tout le temps encadré et que l’on ne peut pas sortir dans la rue seul et discuter avec les gens que vous souhaitez. La BD m’a donc permis d’avoir une marge de liberté plus importante qu’un documentaire ou un reportage.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Michaël Sztanke est journaliste, écrivain et réalisateur à Baozi Prod. Il a publié avec le dessinateur Alexis Chabert le roman graphique « La Faute, une vie en Corée du Nord » (Editions Delcourt)

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