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CVStreet : le docu-fiction qui travaille pour l’emploi

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(Crédit Shutterstock)

JOLPress : CVStreet est un film mêlant le genre du documentaire et de la fiction. Il tend à donner une nouvelle alternative pour retrouver un emploi à l’heure où le Pôle emploi et les différentes infrastructures mises en place sont dépassés par un taux de chômage grandissant. Pourriez-vous nous expliquer d’où vous est venue cette idée de scénario ?
 

Cyril Slucki : L’idée du scénario est reconstituée dans une scène du film. Le 1er mai 2012, j’étais à Athènes. J’ai pris des photos sur ce qu’il se passait dans la rue : 1 magasin sur 3 avec la mention « bail à céder », des personnes manifestant, d’autres dormant… L’une de ces photos a par la suite attiré mon attention. Prise furtivement, elle est floue et montre un sans-abri. J’ai alors compris que nous n’osions plus voir les choses en face et que le profit et la consommation, mots clé de notre société, nous éloignent de l’humain. J’ai alors souhaité tirer cette photo en grand format et la coller dans les rues de Marseille, façon Street art.

Puis, en juin 2012, je trouve un SDF en sortant de chez moi. Je me dis alors que la crise est vraiment en train de nous ronger. Il faut mener un combat et ce combat commencera dans la rue, tel un printemps arabe de l’emploi. Me vient ainsi l’idée d’un film : l’histoire d’un demandeur d’emploi qui décide de créer son propre travail en aidant ses paires et en leur proposant de coller leur CV en grand format dans la rue.

Retrouvez le film CVStreet  ICI

Arrive juin 2013, la réalité a dépassé la fiction. 1 an après, je deviens Président de l’association CVStreet. Je ne suis plus réalisateur mais un simple citoyen qui essaie de lutter contre le chômage et l’exclusion professionnelle.

« Lancée à Marseille, en juillet 2012, CVStreet est une démarche concrète pour lutter contre le chômage et l’exclusion. Fondée sur le bon sens, la connaissance du monde du travail, les expériences et expertises du collectif, celle-ci s’est inspirée du mouvement Do It Yourself, pour accompagner les personnes par des actions artistiques, de prospection, d’entraide et de mise en réseau. Le concept, utiliser la force des médias pour lutter contre le chômage et l’exclusion. »

Avec l’aide des citoyens, salariés et chefs d’entreprise, nous avons mis en place une structure d’accompagnement et de mise en réseau. Durant l’été 2013, nous avons aidé 6 personnes, cinq ont trouvé du travail.

Le film commence par un pilote d’émission de télé-réalité sur l’emploi, façon Maçons du cœur (émission de télé-réalité américaine où une équipe de 5 architectes, charpentiers et décorateurs remettent à neuf les habitations de familles vivant des expériences difficiles, telles qu’une catastrophe naturelle ou un handicap lourd, ndlr).

Nous œuvrons à la production de cette émission (web/tv/radio) sous une forme différente que celle du film, pour fin 2014. Notre objectif est de transformer l’essai en accompagnant cette fois-ci près de 300 personnes. Le plus important pour moi et Joshua Fitoussi était d’écrire un scénario multi-dimensionnel pour créer un univers transmédia. L’histoire devait être polymorphe, racontable sur plusieurs supports et faire des allers-retours entre la réalité et la fiction. Le long-métrage devenait l’un des points d’entrée sans forcément avoir de lien linéaire avec les autres médias et actions terrains et numériques. Tout en sachant qu’il s’agissait de faire de l’anticipation sociale et non un documentaire.

JOLPress : Quelle est l’optique visée par ce film ?
 

Cyril Slucki : De permettre de transformer les spectateurs en acteurs.

Par sa production : les citoyens financent ce qu’ils veulent voir et contribuent par Internet en l’échange de contreparties. Recevoir 7 100 euros était pour nous un honneur et un engagement forts que nous devions respecter.

Par son tournage : chacun peut participer au film au niveau artistique et technique. Nos moyens limités deviennent un moteur créatif, une sorte de Do It Yourself basé sur l’instant émotionnel. Si tout le monde est heureux, la scène est dans la boite ! On se disait qu’on devait adopter les principes du « Dogme95» (mouvement cinématographique initié par Lars Von Triers et Thomas Vinterberg).

Par la mise en scène : Joshua souhaitait faire des très gros plans, moi des subjectifs. C’est un conflit qu’on a depuis 6 ans. Le résultat est que nous renforçons les processus d’intimité et d’identification. 

Par la réalisation : l’amateurisme devient une esthétique de la simplicité. On garde les premières prises, on fait des micros-trottoirs, des improvisations qu’on insère dans le film. On savait que l’histoire réelle continuait pendant le tournage, on savait qu’il était impossible à ce stade de l’écrire mais uniquement de la montrer.

Par le montage : Tout a pris sens quand, au montage, on a inséré les questions « Internet », une sorte de satyre d’une possible télé du futur.

Par la diffusion : une fois le film monté, notre premier acte a été de rendre aux internautes ce qu’il nous avait offert en le mettant en téléchargement gratuit. En 1 mois, plus de 20.000 personnes l’ont visionné. Nous avons contourné la chronologie des médias imposée par l’industrie pour une raison simple : il n’y pas de copyright sur l’entraide.

On s’est rendu compte, lors de notre première projection en salle, que faire un débat et laisser la parole au public était le plus important. C’est à ce moment que l’objectif est atteint, lorsqu’on restitue. A écouter la réaction du public et le contenu du débat, la réponse est claire. Qu’on soit de droite ou de gauche, chômeur ou patron, notre société doit se mobiliser, revenir aux fondamentaux de son humanité. On ne peut plus continuer à vivre ainsi, nous allons droit dans le mur. Le final du film montre une main qui éteint la télé et brule les CVStreets, comme si notre façon de penser actuelle devait mourir et renaître.

Enfin, c’est aussi un hommage à l’Abbé Pierre qui est, pour nous, la première personne à avoir utilisé la force des médias pour une cause sociale, lors de son appel radio de l’hiver 54.

JOLPress : Où est la limite entre la réalité et la fiction ?
 

Cyril Slucki : Celle de la projection mentale. Un docu-fiction renvoie un questionnement immédiat sur ce qui est vrai et faux, sur ce qui est possible et irréaliste. Est-ce que Frank est mort ? Est-ce que Fabrice a créé son entreprise ? De manière non conventionnelle, il n’y a plus aucune barrière narrative avec les personnages. L’intrigue s’ancre dans notre émotionnel, nous souhaitons savoir ce qui est vrai pour avoir la possibilité de juger.

L’art et le cinéma en particulier, mais finalement tout type de discours, procèdent à des fins manipulatoires qu’on retrouve exacerbées dans des styles cinématographiques connexes, tels que l’autofiction ou le faux-documentaire. On s’est aussi inspiré d’expérimentations psychologiques comme celles de Milgram et de Stanford, et sociologiques, comme celle de Beaulieu et Joule, pour renforcer le sentiment de pouvoir et d’implication. 

C’est comme si à la fin d’un film comme Intouchables, on proposait à chacun d’aider à lutter contre l’exclusion des handicapés. On peut choisir l’humour pour faire passer un message. Notre parti-pris est de favoriser l’action, avec le risque que le film ne soit pas assez « commercial ».

Les basculements entre réalité et fiction nous renvoient aux limites de notre imaginaire, et dans ce film, à la possibilité de faire face à nos responsabilités sociétales. Réalité ou fiction : chacun peut choisir le meilleur des mondes.

Plus d’information ICI

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