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En Grèce, «il n’y a pas d’autre alternative que l’optimisme»

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JOL Press : Comment est né Shedia street paper ?
 

Chris Alefantis : Nous avons démarré Shedia street paper il y a un an et demi et nous sommes le seul en Grèce. Nous avons commencé avec une équipe de football pour sans-abris qui existe toujours. Comme vous le savez probablement, leur nombre a explosé ces dernières années. L’idée est d’aider les gens à se réintégrer dans la société à travers le sport.

Chaque année nous participons à la Homeless World Cup (Coupe du monde des sans-abris, ndlr) qui a commencé en 2003 grâce au réseau de street papers dans le monde. Ce qui est amusant, c’est que la plupart ont commencé par lancer un street paper puis ils ont créé une équipe de foot, alors que nous avons fait exactement l’inverse.

En 2007, nous avons joué la Coupe du monde à Copenhague et nous avons discuté avec les autres participants du concept des street papers. Cela nous a pris 6 ans de préparation avant de pouvoir lancer le premier numéro, et maintenant nous vendons Shedia dans la moitié de la Grèce. Nous atteignons entre 60% et 70% de la population. Sachant que c’est dans les grandes villes comme Athène et Thessalonique où les gens souffrent le plus, nous voulons continuer à nous étendre.

JOL Press : Comment est-ce que cela fonctionne ?
 

Chris Alefantis : Lorsque quelqu’un veut rejoindre notre réseau, nous lui donnons 10 copies gratuitement. Nous lui expliquons que chacune coûte 3 euros et que c’est son capital de départ. Donc il décide combien d’heures et à quelle heure il souhaite travailler, il est totalement libre. Lorsqu’il a tout vendu, il a gagné 30 euros.

Nous lui donnons alors le choix : soit il prend les 30 euros et il s’en va, soit il réinvestit un peu de ses 30 euros et il achète d’autres copies à moitié prix, c’est-à-dire 1,50€, pour les revendre. L’idée est de fournir une activité et d’être payé pour. Il faut savoir aussi que 30€ par jour est un très bon salaire en Grèce.

JOL Press : Combien y a t-il de sans-abris à Athènes et en Grèce ?
 

Chris Alefantis : Il n’y a malheureusement pas de chiffres officiels là-dessus. Mais si vous marchez dans les rues d’Athènes aujourd’hui, ils sont extrêmement nombreux. Ce n’était pas le cas il y a quelques années, c’était vraiment rare de voir quelqu’un qui vivait dans la rue. Alors que maintenant ils sont partout. Et bien sûr il n’y a pas assez de centres d’accueil pour tous, et les services sociaux sont débordés. Comme je le disais, il n’y a pas de statistiques officielles mais on parle de milliers de personnes.

JOL Press : Justement, que fait le gouvernement pour leur venir en aide ?
 

Chris Alefantis : Il fait tout ce qu’il peut pour empirer le problème. Les services sociaux se sont effondrés ces deux dernières années et plus d’un tiers de la population n’a pas d’assurance maladie. Le taux de chômage est officiellement à 26,8%. Les Anglais disent que si on ne reçoit pas de salaire pendant 2 mois on finit à la rue, et c’est particulièrement vrai en Grèce.

Imaginez que presque 30% de la population ne touche aucun revenu. Le gouvernement ne fait pas le minimum pour soutenir la population. Le pire, c’est que c’est de la faute de sa politique si nous sommes dans cette situation avec autant de gens à la rue, ou sans électricité et obligé d’aller à la soupe populaire tous les jours.

JOL Press : Il y a eu plusieurs scandales autour du statut particulier de l’Eglise orthodoxe et des exonérations d’impôts. Etant donné que 95% des Grecs se disent chrétiens orthodoxes, quel est le rôle de l’Eglise dans cette crise ?
 

Chris Alefantis : L’Eglise est une énorme et très puissante institution en Grèce. Bien sûr elle assure quelques services comme des refuges, de la distribution de nourriture et de médicaments… Je ne vais pas dénigrer ce qu’elle fait mais elle pourrait s’investir beaucoup plus pour aider la population. Vous voyez, si vous demandez à un sans-abri ce qu’il veut, il ne va pas répondre « une maison ». Parce que ce qu’il veut vraiment, c’est un travail. Les gens veulent travailler pour toucher un salaire mais aussi pour avoir une dignité et être indépendants.

Donc tous les services comme les abris ou la soupe populaire sont très bien, mais ils ne résolvent pas le fond du problème, ce sont seulement des mesures d’urgence. L’une des plus grandes joies lorsque l’on travaille à Sheria, c’est d’avoir un vendeur qui vient et nous dit : « Voilà, je pars parce que j’ai trouvé un vrai travail. » Nous ne voulons pas qu’ils restent vendeurs toute leur vie, l’idée est qu’ils aillent de l’avant, c’est juste pour les soutenir provisoirement. Dans un monde idéal, Shedia fermerait parce que tout le monde a du travail.

JOL Press : Est-ce que vous restez optimiste pour l’avenir?
 

Chris Alefantis : Je me souviens d’une interview avec le célèbre auteur Vassilis Alexakis qui a vécu très longtemps à Paris. Lorsqu’on lui a posé une question similaire, il a répondu : « Il n’y a pas d’autre alternative que l’optimisme. » Nous n’avons pas le privilège de pouvoir nous laisser aller à être pessimistes car nous devons continuer à nous battre pour changer les choses. 

 

Propos recueillis par Benjamin Morette.

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