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Interview de Nicolas Sarkozy: le décryptage de Jacques Séguéla

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JOL Press : Comment analysez-vous le choix de Nicolas Sarkozy de faire cet entretien « chez lui », dans son bureau de la rue de Miromesnil ?
 

Jacques Séguéla : Il a voulu montrer que ce n’était pas son retour, mais simplement l’explication de la façon dont il a été traité par la justice. C’était une interview privée dans ses bureaux, plus décontractée, sans le poids des studios officiels, qui lui permettait d’être plus à l’aise et surtout de laisser parler son cœur. Parce qu’il a été touché au cœur par la façon dont la justice s’est comportée avec lui. C’était, je pense, la façon la plus discrète et la plus intime qu’il puisse trouver pour se prononcer.

JOL Press : En insistant sur les conditions et le temps qu’il a passé en garde à vue, que cherchait-il à montrer ?
 

Jacques Séguéla : Si la justice a des comptes à lui demander, elle a raison. C’est un justiciable comme les autres, et il est normal qu’il ait été mis en examen. Une mise en examen n’est pas une accusation : c’est simplement la volonté de la justice d’y voir plus clair. Mais la garde à vue, qui a d’ailleurs fait le tour du monde, est une première : c’est certainement la plus spectaculaire qui ait été vue en France, et c’est pour moi la goutte de fiel qui a fait déborder le vase.

Nicolas Sarkozy a voulu insister là-dessus, pour que les Français comprennent bien qu’il y avait une sorte de volonté d’acharnement contre lui, alors que sur toutes les affaires dont on l’a accusé, il n’y a pour l’instant aucune condamnation. La dernière s’est d’ailleurs soldée par un non-lieu. Il n’y a pas de raison que les journaux et les juges aient toujours la parole à charge et que lui ne puisse pas, à décharge, s’expliquer sur la façon dont cela s’est passé.

Il souhaitait montrer que lorsqu’un président de la République dit, les yeux dans les yeux, qu’il n’a jamais trahi la confiance des Français, il n’est pas assez « fou », comme l’a fait Jérôme Cahuzac, pour être pris la main dans le sac le jour où la justice rendra son verdict. C’est ce qui ressort le plus dans cette prestation télévisée.

JOL Press : Cela faisait deux ans que Nicolas Sarkozy ne s’était pas exprimé publiquement de cette manière. Était-ce le bon moment pour le faire ?
 

Jacques Séguéla : Après la fin de son mandat, il ne voulait pas s’exprimer, parce qu’il n’avait pas encore pris sa décision de revenir et souhaitait pour un temps se tenir à l’écart de la vie politique. Il s’y est ensuite préparé, mais je pense que c’est justement le dépassement des lignes rouges de la justice qui a avancé le calendrier, qu’il ne voulait pas perturber avant fin août.

C’est l’accélération de la situation qui l’a poussé à faire cela, même si encore une fois, il n’a pas fait sa « rentrée » dans la vie politique, puisqu’il a encore réservé sa parole et son engagement concernant la présidence de l’UMP pour fin août ou début septembre. Il avait choisi de revenir si la France en avait besoin : la fin de sa prestation consiste à montrer que jamais la France n’avait eu autant besoin qu’il revienne.

JOL Press : Quelles règles devait-il respecter pour ce genre d’exercice médiatique ?
 

Jacques Séguéla : Dans ce genre d’exercice médiatique, il faut que le cœur et la sincérité parlent, et il ne faut pas qu’il y ait d’excès. Il n’en a pas fait : il a dit les choses avec chaleur quand il s’agissait de se défendre, froidement quand il s’agissait d’exposer les faits. Autant les journalistes ont été assez agressifs, mais lui ne l’a pas été.

Il lui fallait aussi le temps de pouvoir s’expliquer : s’il a tenu à faire cette interview dans ses bureaux, c’est qu’il savait qu’il avait vingt minutes pour calibrer sa défense. À la télévision, le journaliste est toujours pressé de passer à autre chose, et il est donc difficile d’aller au bout de ses explications.

Le moment était-il bien choisi ? Oui, l’actualité était « chaude », il fallait réagir sur le champ. Ne pas laisser passer de temps. Il fallait tout de suite surfer sur l’actualité et s’exprimer au moment-même où l’action se déroulait. C’est comme dans une tragédie classique : il faut une unité de temps, de lieu et d’action. La règle médiatique d’aujourd’hui est celle du théâtre classique.

JOL Press : À qui s’est-il adressé lors de cette interview ?
 

Jacques Séguéla : Nicolas Sarkozy s’est adressé à trois cibles : d’abord sa cible privilégiée, celle qui va voter pour lui en septembre lors de l’annonce des candidatures pour la présidence de l’UMP, c’est-à-dire le cœur du parti et tous ses sympathisants.

Il s’est ensuite adressé à l’ensemble des Français : 40% veulent le voir revenir et 60% ne veulent pas qu’il revienne. Les Français qui ne l’aimaient pas continuent de ne pas l’aimer, et parmi ceux qui doutaient de lui, certains ont été convaincus. Il ne vient donc pas en recours, mais en reconquête. La troisième cible, c’était le gouvernement et les juges, à qui il souhaitait dire : « maintenant, ça suffit ».

JOL Press : Certains de ses opposants ont dit que Nicolas Sarkozy se « berlusconisait ». Qu’en pensez-vous ?
 

Jacques Séguéla : Contrairement à Nicolas Sarkozy, Silvio Berlusconi a été déclaré plusieurs fois coupables par la justice italienne. Nicolas Sarkozy lui jamais. Pourquoi n’est-il alors instruit qu’à charge ? Et jamais à décharge ?

JOL Press : Ce genre de communication sera-t-elle efficace si Nicolas Sarkozy souhaite revenir en 2017, et avant cela, à la présidence de l’UMP ?
 

Jacques Séguéla : Cette prestation a eu une certaine efficacité et l’a mis en position de prendre la tête de l’UMP lors de l’élection qui aura lieu le 29 novembre prochain. C’était aussi le but de cette prestation. Ensuite, c’est un match de boxe qui commence : c’était le premier round, qu’il a gagné haut la main. Mais il y a encore onze rounds avant le « chaos final », et dieu sait que le feuilleton nous réserve bien des surprises.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Jacques Séguéla est un publicitaire, cofondateur de l’agence de communication RSCG en 1970 (absorbée par le Groupe Havas en 1996). Il a longtemps conseillé François Mitterrand. Lors de la campagne présidentielle de 1981, il se fait remarquer par le slogan puisé dans un célèbre discours de Léon Blum : « La force tranquille ».

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