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«Jean Jaurès appartient au patrimoine politique français»

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JOL Press : En quoi Jean Jaurès était-il un homme politique moderne ?

Jean-Luc Mano : Jean Jaurès était avant tout le représentant d’un socialisme en expansion qui ne se limitait pas à la sphère syndicale. A l’époque, le socialisme de gouvernement était une idée nouvelle. En outre, le député du Tarn entretenait un rapport étroit et très singulier avec le peuple – vu autrement qu’un électorat. Jaurès était un véritable moine-soldat : tout au long de sa vie politique, il a infatigablement prêché la parole socialiste.

Précurseur

JOL Press : Notamment auprès des jeunes…

Jean-Luc Mano : Effectivement. Jean Jaurès avait réellement foi en la jeunesse française – un public qui était très souvent délaissé par les hommes politiques. Son «Discours à la jeunesse», prononcé à Albi en 1903, est éminemment moderne et reste d’actualité. Ce texte insiste sur la nécessité d’avoir des repères, sur les droits et les devoirs des jeunes, et sur l’importance d’avoir des idéaux pour lesquels on est prêt à se battre.

Jean Jaurès fut un des premiers politiques – si ce n’est le premier – à appréhender l’opinion publique par catégorie professionnelle ou socioculturelle (agriculteurs, ouvriers, jeunes etc.)

JOL Press : Quel est son héritage sur le plan de la communication ?

Jean-Luc Mano : Jean Jaurès avait la conviction profonde que ce sont les masses populaires qui font l’Histoire et décident de leur destin. En cela, il a revivifié la Révolution de 1789. Partant de cette conviction, il s’adressait tout particulièrement aux classes laborieuses et défendait ardemment les ouvriers, qui formaient alors le noyau dur de la gauche française.

Jean Jaurès était un véritable précurseur. C’est lui qui a rompu avec l’idée selon laquelle la politique se faisait forcément par les élites. Sur ce point, on note d’ailleurs assez peu d’évolution : faire intervenir la population et interagir avec elle, notamment via les réseaux sociaux, est quelque chose de très neuf. De plus, le député du Tarn avait un vrai souci des médias – n’oublions pas qu’il a fondé, en 1904, le journal L’Humanité.

Héritage

JOL Press : Rares sont les politiques qui ne se réclament pas de Jean Jaurès. Mais font-ils référence au même homme ?

Jean-Luc Mano : Bien sûr que non. Soulignons d’abord que la France a tendance à vénérer ses hommes politiques une fois qu’ils sont morts. Il y a quelque chose d’un peu absurde là-dedans… Jaurès est à la gauche ce que de Gaulle est à la droite : une figure incontournable et respectée. Quel que soit le bord politique auquel on appartient, on fait référence à Jean Jaurès – au risque, parfois, d’instrumentaliser son héritage idéologique.

Chez Jaurès, il y a le républicain, le laïque et le rebelle. La mouvance révolutionnaire de la gauche, dont est issu Jean-Luc Mélenchon, se réclame d’un Jaurès épris de justice sociale et qui n’a pas été confronté à l’exercice du pouvoir. Les sociaux-démocrates, François Hollande en tête, se réclament quant à eux d’un Jaurès mâtiné de Léon Blum et de l’expérience du Front populaire. Il s’agit là d’un socialisme qui doit faire des compromis et négocier avec le capitalisme.

JOL Press : Que reste-t-il de Jean Jaurès aujourd’hui ?

Jean-Luc Mano : Jean Jaurès était un homme de principe, porteur d’une véritable idéologie politique qui fait toujours rêver. Il s’agit de quelqu’un qui a milité jusqu’à sa mort et au péril de sa vie pour défendre ses convictions – pour éviter la guerre et véhiculer un message d’unité. Dès lors, on comprend la formule «Jaurès reviens, ils sont devenus fous !» Il est, sans doute, le dernier grand penseur du socialisme. En cela, il appartient au patrimoine politique français.

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